La Voix du Luxembourg

 

Journal du Luxembourg 

26 mai 2011

 


 




Le chanteur Jacques Bertin auto-publie "Une affaire sensationnelle"

Hold-up et amour sur La Loire

Un roman policier et d'amour qui est un hymne à la ville de Chalonnes-sur-Loire où il habite

 

  Jacques Bertin

Chalonnes, coin tranquille posé au coeur de l’Anjou, un de ces endroits où, paraît-il, il ne se passe jamais rien. Commune traditionnellement administrée par une alliance entre les paysans et les commerçants, petite cité où Gilles de Rais se maria à l’âge de 17 ans, le 26 juin 1422, Chalonnes c’est le Combray de l’écrivain Jacques Bertin.

C'est son port d’attache, son havre de paix, sa résidence en écriture, son ancrage en inspiration d’où il sent «sourdre la nappe phréatique des chansons» et à qui il a rendu hommage au moins à deux reprises. Une petite ville qui lui ressemble: modeste, profonde, et grave, où l’on travaille humblement, en n’élevant jamais la voix, et en se méfiant des jouissances frénétiques. Une grosse bourgade de quatre ou cinq mille habitants qu’il décrit comme «une grosse montre tombée du gousset d’un marinier sur le bord de Loire» (sur la rive gauche plus exactement).

Jacques Bertin y donne des ailes à ses songes puisqu’ici commence «sa vie rêvée» et qu’il y a composé ses plus belles chansons. Et quelles chansons! Des voyages et des promenades au pays de la peine des hommes, de l’espoir de voir surgir un monde meilleur où l’on croise des «curés rouges», où l’on se souvient des odeurs de menthe, où l’on accoste au pays des livres par les berges du verbe aimer. Des chansons hymnes, qui sont souvent de longs couloirs labyrinthiques («Le passé» se déploie sur près de dix minutes) et dont l’humour semble exclu.

On ne rit jamais en écoutant une chanson de Jacques Bertin, mais on y apprend à réfléchir et à y goûter la beauté des femmes et à y vanter leur courage. Dans ses récits, ses fictions et ses chroniques c’est un peu différent quant à la forme. Ils sont nettement plus drôles, ironiques et joyeux mêmes, célébrant le sourire au coin de la plume une France profonde peuplée de ce que l’écrivain Pierre Sansot appelait «les gens de peu».

C’est encore plus significatif dans «Une affaire sensationnelle» que Jacques Bertin a auto-publié aux éditions Le Condottiere. Avec ce roman il nous transporte encore une fois (évidemment devrait-on dire) à Chalonnes, durant les années 1950 et il y met en scène un couple d’antihéros romantiques tout à fait dissemblables.

Clerc de notaire, Edmond Pavie est un héros de la guerre. Il a beau s’être pris de passion pour Florence, une Parisienne rencontrée le soir de la Libération de Paris en août 1944 alors qu’il «fumait une cigarette avec le capitaine Dronne rue de Rivoli», il est resté célibataire. Infirmière et vieille fille âgée de 39 ans, Léonie Macaire croise ses pas et il va naître entre eux une histoire d’amour aussi inattendue que durable. Comme l’écrit Anne Sylvestre dans «Malentendu», chanson qui compose un de deux inédits de son nouvel album «Parenthèses», «Rien ne les poussait l’un vers l’autre, rien ne les sépara non plus».

Ils vont vivre ensemble durant trente ans, «mourant ensuite à contrecœur», «se suivant dans la tombe par politesse» – pour citer encore Anne Sylvestre – et cachant dans leur demeure un fabuleux trésor auquel ils ne touchèrent jamais. Une liasse de billets savamment dissimulés aux yeux de tous, car acquis dans des conditions illégales. En effet nos deux tourtereaux très peu «perdreaux de l’année» et bien sous tous rapports se sont transformés en Bonny and Clyde des vallées de Loire en réalisant un casse qui à Chalonnes fut appelé «le casse du siècle», et chroniqué dans les journaux comme étant «Une affaire sensationnelle». Ils ont en effet dérobé en toute quiétude, et sans jamais être soupçonnés, la paie des ouvriers des Mauges transportée dans la grosse Peugeot 402 de la Banque de France.

Récit d’un hold-up impuni raconté avec ironie, peinture sociale de la France gaullienne des années d’après-guerre, hommage au courage des Français lors de la Résistance aux nazis, portraits de simples travailleurs transformés en héros antiques, éloge des prêtres ouvriéristes qui apprennent à leurs ouailles «la fierté d’être le peuple», romance d’amour décalée, traité d’humanisme à l’usage des souches les plus modestes, «Une affaire sensationnelle» brille par son côté farce et son aspect fantaisie policière qui célèbre sans passéisme les beautés de la France profonde. Un roman sensationnel. Comme son titre.


 Jean-Rémi Barland

26 mai 2011