"L'Oiseau qui chemine"

Hiver 2005
Bulletin N° 15

 

Coup de coeur

par Jacques Bonnadier

 

 

 

L'oiseau qui chemine
27, rue Bussy l'Indien
13006 Marseille

http://assosoleil.free.fr/



René Guy Cadou, portrait


Le très beau coffret DVD-CD sur la vie et l'œuvre du poète de Louisfert nous ouvre à "ce torrent de la vie qui soudain passe dans le cœur".

J'ai connu René Guy Cadou d'abord par ce que j'en ai entendu de la bouche de Pierre Seghers, son éditeur : "Il y a dans la poésie de Cadou une musique qui est pour moi un enchantement, je veux dire une sorte de philtre qui m'enchante"… ; ensuite par ce que m'en ont appris, par la radio, par le disque, des gens comme Luc Bérimont, qui fut son compagnon de l'Ecole de Rochefort, comme Jacques Douai, qui mit en musique admirablement plusieurs de ses textes, par ce que m'en dit mieux que quiconque Jacques Bertin, lui dont le lien avec Cadou fut (dès ses 18 ans) "immédiat, affectif et fulgurant". Puis vinrent d'autres chanteurs : Gilles Servat, Morice Benin, Michel Arbatz, Lucien Massion, Julos Beaucarne, notre Forcioli qui m'entraînèrent à leur tour, grâce à leurs mélodies composées sur des textes du poète, dans "ce torrent de la vie qui soudain passe dans le cœur".

Et voici que je reçois le plus émouvant cadeau qui soit : un coffret contenant un DVD et un CD entièrement consacrés à Cadou, avec un livret de 24 pages écrit par Jacques Bertin, "journaliste et auteur-interprète de chansons" - qui est à l'initiative de cette publication - et illustré de reproductions couleurs de tableaux de Roger Toulouse, avec les poèmes qui les ont inspiré.

Le DVD est essentiellement constitué d'un film de Jacques Bertin, réalisé par Annie Breit. Il s'agit d'un portrait sensible du poète construit autour du témoignage d'Hélène, sa femme et de quelques-uns de ses amis qui l'admiraient et l'aimaient : Jean Bouhier, Jean Rousselot, l'imprimeur Sylvain Chiffoleau. A les entendre tous, et surtout Hélène dont le regard profond et tendre rayonne tout au long de son entretien, on s'informe des grands événements de la si courte vie de René Guy, et l'on en apprend beaucoup sur les divers aspects de sa personnalité, notamment sur sa présence à tous ses amis, sur sa joie de vivre et de trinquer avec eux, son goût du rire et de la plaisanterie - "il avait un côté Almanach Vermot " ! -, sur son attachement aux "biens de ce monde" et sa quête de spiritualité. On parcourt les paysages qu'il aima : La Loire, le Layon, Rochefort, Behuard, Saint-Aubin-de-Luigné, Nantes, Saint-Nazaire… ; on est accueilli dans la maison d'école où il s'installa à Louisfert en avril 46, dans la joie de la Libération et du printemps, avec le sentiment de s'enraciner auprès d'Hélène dans la paix et la sécurité d'une enfance retrouvée. L'évocation, réalisée avec une simplicité et une délicatesse exemplaires, est rythmée par de nombreux poèmes dits comme en confidence par le merveilleux serviteur des poètes qu'est Michel de Maulne.

S'ajoutent trois autres documents : "Quelques minutes de plus", avec Hélène Cadou et Yves Jalaber ; douze lithographies de Jean Jégoudez sur le poème "Celui qui entre par hasard dans la demeure d'un poète" ; "La Maison d'été", une mise en image des premières pages de l'unique roman de René Guy Cadou. Où l'on retrouve pleinement à chaque instant l'âme de cet "homme d'absolue grâce".

Quant au CD, il restitue dix poèmes de Cadou dits par Daniel Gelin d'une voix jeune et allègre ; l'enregistrement est de 1959. Il donne à entendre enfin dix-sept poèmes chantés : sept inédits (musique d'Hélène Triomphe) et dix autres, extraits du CD "Poètes et Chansons" consacré à Cadou, parmi lesquelles trois bijoux de Martine Caplanne et un de Michèle Bernard, aux mélodies et aux voix singulièrement prenantes.

Dès lors, comment ne pas se plonger à nouveau dans son "Cadou" ? Voilà une poésie de plein vent et d'espace et en même temps d'une intimité et d'une ferveur bouleversantes. J'aime ce poète qui m'appelle à l'espérance, à la beauté - "Appuie de toutes tes forces sur le champignon de la beauté !"… J'aime sa force extraordinaire, sa rébellion - "La poésie sera toujours l'éloge de la vie dangereuse"… "La poésie est affaire de sueur, de muscles et de poil"… J'aime sa poésie de "pleine poitrine, forte et balancée comme une pierre de fronde". J'aime sa tendresse ineffable, qui vous transperce. Poésie de l'amour et de l'amitié pour les êtres et les choses, grâce à laquelle "une clarté sans bord ruisselle de nos pas". Et cette "gravité essentielle".
J'ouvre mon Cadou, le soir. J'y trouve "les mots qui portent immédiatement secours" (comme disait René Char). Cadou, - "au nom comme un bruissement d'eau claire sur les cailloux" - c'est le grand consolateur ; mon grand consolateur, avec Schubert, Nicolas de Staël et d'autres parmi lesquels quelques poètes-chansonniers, négligeables aux oreilles des médias dominants mais précieux pour moi dans les moments d'urgence. J'ouvre Cadou à n'importe quelle page. Je lis. Des larmes, parfois, me viennent aux yeux, inexplicablement, miraculeusement. Je bénis ce don. Je rends grâces avec les mots mêmes de René : "O mon Dieu, se peut-il que ce poète me mette des douleurs de ventre dans la tête ?"… Et je m'endors en méditant la petite prière de Max Jacob : "Mon Dieu ayez pitié de René Guy Cadou, qui ne sait pas que ses vers sont le meilleur de Vous."

Jacques Bonnadier