Seul dans le paysage

>Hexagone

Hexagone N° 5
Revue trimestrielle de la chanson

automne 2017

 

 

JACQUES BERTIN, Seul dans le paysage

 




Il y a quatre ans, L’état des routes était le point culminant d'une série d'albums remarquables publiés par Jacques Bertin depuis le début des années 2000. Partant de l'intime, il disait l'universel. La France des petites gens cartographiée par un voyageur au commerce plus poétique que marchand, faux misanthrope sensible et mordant – Blessé seulement – fidèle à l'image de marque entretenue par l'auteur-essayiste. Ces grandes chansons orchestrées avec un vieux complice (Didier Levallet) formaient un ensemble imposant proche du chef d'œuvre. Ce nouvel opus, d'un abord plus léger, pourrait donc paraître mineur en comparaison. Bertin annonce la couleur : certains de ces titres sont des « fonds de tiroir ». mais, précise-t-il, « c'est là qu'on range les trésors ! ». L'équipe est réduite : Laurent Desmurs aux claviers (ni vraiment modernes ni tout à fait vieillots — hors du temps), Francis Jauvain, échappé du sillage de Gérard Pierron pour quelques touches d'accordéon; et le chanteur lui-même raclant ses cordes avec ferveur. Alors que son œuvre se divisait jusqu'ici entre disques d'auteur (une majorité) et disques d’interprète, celui-ci mêle inédits, poèmes mis en musique et reprises, pour un résultat plus varié qu'à l'accoutumée, conforme ou contenu de ses récitals.

Seul mais bien entouré : L'éternel Bérimont « [plonge] dans le baquet dansant du paysage » et Bertin lui emboîte le pas vers un métaphysique « grand Jardin immatériel ». Il s'approprie des poètes rares en chanson (Paul Valéry, A.O. Barnabooth [Valéry Larbaud] pour évoquer la mort avec sérénité ; convoque un auteur de son entourage (Lucien Massion) pour peindre avec lyrisme Les cris d'écoliers dans les cours et autres épiphanies du quotidien. Le bonheur « comme dans un livre dont la dorure a bien vieilli » semble à portée de main – Qu'on me rende l'espérance et L'espoir, litanies d'idéaux modestes mais sans optimisme excessif (au passé, conditionnel, futur... pas encore au présent). La simplicité culmine avec ce qui sera peut-être le « tube » du disque : Aux amis réunis, dans un registre où l'on n’attendait pas Bertin – chaleureuse chanson de bistro, amitié macho mais pas trop, Café du commerce où l'on se fiche du politique. Plus loin, une séquence guitare-accordéon enfonce le clou de ce bel esprit partageur : A la claire fontaine voisine avec Aragon, le popu est soluble dans la Culture et vice-versa  - preuve que le « patrimoine » tel que l'envisage le chanteur n'a rien de rigoriste.

Mais Bertin ne serait pas complètement Bertin sans un brin d'emphase : aux extrémités de ce disque simple et varié, il place deux « grandes chansons » aux réussites inégales. La première, sur fond de roulement martial reprend un de ses thèmes éternels - le chant des hommes, planche de salut face au marasme – et une mélodie familière (voisine de celle d'Ah vei ami... quelques années plus tôt) : impression de déjà entendu ; il a fait mieux ailleurs, et l'on n'intitule pas impunément une chanson Hymne sans risquer la grandiloquence. A l'autre bout du CD, sa mise en musique du If de Kipling est d'un bois plus chaleureux. Les puristes tiqueront sur certaines variantes par rapport au texte français d'André Maurois – qui était lui-même une adaptation : « médias vautrés dans la parole » anachronique, « (rester homme du peuple) en parlant aux hauts rois » redondant, etc. Mais ces aménagements permettent à Bertin de mieux s'approprier le poème : la dignité et la grandeur populaire face aux élites sont des sujets qui lui sont chers ; et le drame sous-jacent (le fils Kipling–John –tué au front à 18 ans) prolonge son Hommage de jadis aux alliés tombés pour la France interprété avec ferveur, il clôt le disque en beauté : l’Histoire s'y noue à l'intime, la poésie à la chanson – plus de grand Art ni d'art mineur. Juste Le bonheur de faire chanter un texte et des valeurs censément connus de tous... mais que l'on n'entendait plus.

 

Nicolas Brulebois


Seul dans le paysage

Jacques Bonnadier
Jacques Bonnadier

15/07/2016

 

 

JACQUES BERTIN, Seul dans le paysage

 



«Dans l'espace secret de notre approche de l'être, je ne crois pas que soit de poésie vraie qui ne cherche aujourd'hui, et ne veuille chercher jusqu'au dernier souffle, à fonder un nouvel espoir».
Ces mots d'Yves Bonnefoy (mort le 1er juillet) pourraient figurer en préface au disque de Jacques Bertin, «Seul dans le paysage», que je viens de recevoir et d'écouter à dix fois avec émotion.

Chansons anciennes inédites et chansons nouvelles de son cru, poèmes d'auteurs aimés (Paul Valéry, Luc Bérimont, René Guy Cadou, Valéry Larbaud, Louis Aragon, Lucien Massion, Rudyard Kipling), mis en musique par lui ou par d'autres, chansons françaises de la tradition populaire..., tout ici vibre d'espoir, en appelle à l'espérance.
Quinze titres au total dans ce dernier CD de Bertin et autant d'hymnes à l'amour, à l'amitié, à l'enfance, aux jardins, aux fontaines..., où l'on retrouve inaltérée sa voix au timbre unique de chanteur qui chante (y en a !) finement soutenue par le piano de Laurent Desmurs, l'accordéon de Francis Jauvain ou rythmée de sa seule guitare sèche (et archi sèche, comme dirait Julos Beaucarne !). Et c'est un bonheur renouvelé que de réentendre le chant intense et fervent de cet homme-là et de chanter à perdre haleine avec lui : «En nous ce qui vibre, ce qui vit, c'est le chant / Oui, la révolte nous meut, oui l'amour nous fonde / Et ce feu qui nous porte, oui ce feu qui nous porte, c'est le chant».

Ce disque de Jacques Bertin «Seul dans le paysage», produit par le label Velen se clôt sur l'adaptation par André Maurois du fameux poème de Rudyard Kipling «lf». Que voici sur une musique de Jacques Bertin, par Jacques Bertin.  



A la semaine prochaine !

Jacques Bonnadier
Dialogues RCF, Sorties Vieux-Port 614 (15 et 16 juillet 2016)



Seul dans le paysage

Nos enchanteurs

18/08/2016

 

 

JACQUES BERTIN, Seul dans le paysage

 

« Le désespoir est une forme supérieure de la critique » disait Léo Ferré. Peut-être. Mais c’est probablement aussi le terreau d’un espoir nouveau.
L’Hymne d’ouverture donne le ton : « Vous étiez réunis / Toutes vos solitudes prêtes à s’embraser… / Et ce feu qui nous porte c’est le chant. »

La dernière chanson porte comme une offrande un vœu éternel, remettant Rudyard Kipling au goût du jour : If, dans la traduction adaptée d’André Maurois, avec sa chute prometteuse : Tu seras un homme, mon fils.

L’espoir désespéré de Bertin est conçu d’un peu de douceur, de tendresse, d’amour, de joie, de beau temps ; « Un peu d’espoir, trois fois rien. » Ce sont des gestes simples, accessibles, qu’il nous faudrait retrouver. Les chemins de ce bonheur-là passent par des jardins plus extraordinaires encore que celui de Trenet ou par des bistrots aux noms de rêves, sur des musiques langoureuses ou plus rythmées. Notons les accompagnements de Laurent Desmurs aux claviers et de Francis Jauvain à l’accordéon ou l’accordina, qui soulignent avec de belles nuances et quelques beaux éclats, les textes magnifiques.


Nous sommes en effet dans ce no man’s land aux confins de la chanson et de la poésie. A ses propres créations, très récentes ou plus anciennes retrouvées, Jacques Bertin associe Le cri d’écoliers dans les cours de Lucien Massion (vous souvenez-vous de son album L’Ombilic, en 1987 ?) et quelques poèmes qu’il a mis en musique : Paul Valéry, Valéry Larbaud, Louis Aragon et bien sûr Luc Bérimont, en particulier Je suis plus près de toi, avec une musique de Lise Médini, qui était déjà au répertoire de Jacques Douai. Mais aussi, parce que ce disque comme les précédents demeure dans l’intemporel, deux chansons du folklore. « Quel plaisir » nous dit Bertin en commentaire « de les mêler à la “grande” littérature, comme si c’était le même monde, la même unique chanson, le même fleuve ! »

Ce vingt-huitième album (si l’on compte les vinyles originaux) pose un jalon dans le parcours de son auteur. Oui, il est seul dans le paysage, mais nous sommes tous seuls. Ensemble demeure une utopie, un vieux rêve à transmettre. Et pourtant, comme la chanson, nous sommes le même fleuve. Un vieil air du jazzman Eric Dolphy me revient : Alone together, c’est la quadrature du cercle, le nœud même de nos incertitudes avérées et, pourquoi pas, l’oxymore de la sagesse.

Michel Trihoreau

http://www.nosenchanteurs.eu/index.php/2016/08/18/jacques-bertin-seul-dans-le-paysage/

Seul dans le paysage

mais qu'est-ce qu'on nous chante ?
(Blog Baptiste Vignol)

Décembre 2016

 

Un autre article de Baptiste Vignol

JACQUES BERTIN, Seul dans le paysage

L'air libre de Bertin

 

C'est un homme de mots et de notes, qu'écoutent seuls dans leur coin quelques centaines d'admirateurs. Sa faute à lui d'abord, qui, avec courage, s'autoproduit depuis quarante ans, s'étant volontairement mis à la marge. Histoire d'avoir la paix. Mais cela n'empêche pas son œuvre d'avoir été deux fois couronnée par le Grand Prix de l'Académie Charles Cros. Il y aurait un livre à écrire sur l'art de Bertin. Trois ans après L'ÉTAT DES ROUTES, dont la beauté laissait bouche bée, le vingtième-huitième volet de sa discographie est sorti juste avant l'été: SEUL, DANS LE PAYSAGE. Disponible chez Velen, contre une vingtaine d'euros qui ne pèse pas bien lourd pour autant de grandeur. Bertin écrit, compose et chante avec le soin de l'accordeur. D'ailleurs, a-t-on pratiqué ce métier de troubadour avec autant de dignité dans l'exercice particulier qu'est celui de la diction, de l'interprétation depuis, disons, Yves Montand? Rien ne dépasse mais tout s'envole au souffle de son inspiration. «Vous étiez réunis, je vous sentais dans l'ombre / Les yeux sur moi comme ceux de mille félins…», dépeint-il pour ouvrir l'album, et l'on comprend d'entrée que rarement chanteur n'avait tendu à son public miroir aussi profond. «Tout ce que vous n'osez pas dire, qui vous pèse, / La foi qui n'a nulle issue, le besoin d'amour, / Je sais cela, hors vous étiez comme la braise / Qui chante et fait ce parfum d'orchestre du four...» C'est parce que ses chansons uniques ont le pouvoir de dompter les âmes perdues qu'elles leur deviennent indispensables. Explorateur d'une voie sur laquelle deux aventuriers ne pourraient pas marcher de front, Jacques Bertin avance. En solitaire.

Baptiste Vignol

http://delafenetredenhaut.blogspot.fr/2016/12/lair-libre-de-bertin.html


Seul dans le paysage

Ouest-France

04/09/2016

 

 

JACQUES BERTIN, Seul dans le paysage

 

Ouest-France



Seul dans le paysage

Vie Nouvelle (CGT)

Décembre 2016

 

 

JACQUES BERTIN, Seul dans le paysage

Ce feu qui nous porte, c’est le chant. Et le chant nous mène naturellement à Jacques Bertin. Il retrouve au milieu de ses textes des poètes qui jalonnent depuis tant d’années sa route : Paul Valéry, Louis Aragon et Luc Bérimont, l’ami poète de toujours qui animait l’émission la Fine Fleur de la chanson française. C’était il y a cinquante ans. Jacques Bertin, entre espoir et désespoir, douceur et colère...Comme un grand fleuve silencieux.

Richard Vaillant
Vie Nouvelle, Magazine des retraités CGT