La Croix
30 décembre 2011
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Le combattant de la poésie
chantée
Le chanteur vient de publier « Les traces des combats »,
recueil de ses poèmes et chansons depuis 1993
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À 65 ans,
il est l'un des derniers à pratiquer le métier de
«poète chanteur».
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«Les grands poètes sont comme des fleuves silencieux /
Calme, chacun d'entre eux son chant s'allonge dans la plaine, emplit son
lit sans heurt / Chaque bras couche chaque fleur.» (1) En l'auteur
de ces vers, Jacques Bertin, tout incarne aujourd'hui la révolte
sourde des «grands poètes». À 65 ans,
il est l'un des derniers à pratiquer encore le métier de
poète chanteur avec cette fidélité jamais entamée
aux valeurs que portait la chanson française avant son «aliénation»,
qu'il attribue aux grandes dérives de l'industrie culturelle. Résistant
en marge de l'époque, avec cette indépendance maîtresse
de ses choix, il campe «dans ce pays que [ses] voix simples délimitent»,
où son oeuvre «s'allonge», repoussant chaque
fois plus loin les limites de sa propre liberté.
Dans un café de Mouffetard, quartier où il venait faire
la tournée des cabarets à ses débuts, il raconte
volontiers son parcours et exprime son désarroi sur l'histoire
culturelle des cinq dernières décennies. L' «organisation
du métier» , dont il s'est toujours démarqué
avec probité, s'incarne selon lui dans la figure du programmateur
musical à la radio : «Ce type que personne ne connaît,
qui ne rend jamais de comptes et qui décide que tel titre passera
tant de fois, à tel moment et pendant tant de mois.»
Dès le début de sa carrière, Jacques Bertin, très
entouré par ses aînés (Félix Leclerc, Luc Bérimont,
Jacques Douai), gens de confiance qui soutiennent son talent, met un point
d'honneur à éviter les «pièges»
de ce genre de personnage. En 1967, refusant un contrat que lui propose
Eddie Barclay, il enregistre son premier 33 tours, Corentin, à
la Boîte à musique, éditeur phonographique
qui vit débuter les Frères Jacques et qui accueille également
Mouloudji, Pia Colombo ou Francesca Solleville, dirigé par Albert
et Odile Lévi-Alvarès. Le disque est couronné du
prix Charles-Cros, qu'il obtient une seconde fois, en 1982, avec Changement
de propriétaire , album dans lequel il explore le patrimoine
de la chanson et de la poésie. On y croise Aragon, Guy Cadou, Prévert,
Villon, Douai, Bérimont...
Il déplore la mainmise de l'industrie
sur le monde musical
et «l'écroulement de l'éducation populaire».
Il donne des récitals dans toute la France, surtout dans les MJC
et les salles associatives, privilégiant ces initiatives «d'éducation
populaire au sens noble».
Dans la tradition des politiques d'après-guerre, il reste fidèle
à cette conviction profonde selon laquelle «l'individuel
et le collectif ne s'excluent pas et la culture doit être un moyen
d'émancipation». Mais il déplore la mainmise de l'industrie
sur le monde musical e t «l'écroulement de l'éducation
populaire» . Il ajoute : «L'époque Lang a
placé à la tête des institutions culturelles, non
plus des militants comme la génération de Vilar mais
des créateurs avares de leurs privilèges.»
Jacques Bertin n'a bientôt plus de maisons de disques et ne parvient
plus à vivre de la chanson. Ancien étudiant en journalisme,
il entre en 1989 à l'hebdomadaire Politis comme chef du
service culture. Pendant douze ans, dans ses chroniques et enquêtes,
il dénonce les affres du système tout en construisant son
«maquis» de la chanson. À commencer par ce label
«Velen», qu'il fonde en 1989 et qui lui permet d'enregistrer
une quinzaine de disques. Il les vend sur son site Internet. Depuis son
départ de Politis , il vit à Chalonnes-sur-Loire
(Maine-et-Loire), ville natale de sa mère, et sillonne les routes
de France pour chanter, seul à la guitare ou accompagné
au piano par Laurent Desmurs. Il donne une cinquantaine de concerts par
an, et fait souvent salle comble grâce à cette notoriété
de l'ombre, ce réseau d'admirateurs fervents qui mettent un point
d'honneur à le soutenir.
LOUISE BASTARD DE CRISNAY
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(1) Extrait de Les grands poètes, album
Que faire ? , enregistré en public au Théâtre
du Gymnase en 2007, Velen.
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