Le malin plaisir de Jacques Bertin
C'est la saison! Ils vont refleurir sur les trottoirs, dans leurs laids sacs-poubelles, les bizuts. Et je vais encore me donner un coup de sang. La seule évocation du bizutage me met en furie. Il y a recrudescence du bizutage, dit-on, et principalement dans les filières "nobles": l'accroissement du nombre des étudiants justifierait que l'élite de l'élite s'invente des rites de passage. On va quand même pas se mélanger au vulgaire, non? Qu'est-ce que tu ferais pour ça, Roger? Ben je ferais dire des mots pornos à des filles que je forcerais à montrer leurs seins? et pis je forcerai les bizuts à s'arsouiller au milieu des insultes. Non? Je suis fier d'avoir trouvé ça, je suis la future élite de l'élite. Et ce sont toujours les mêmes scènes: se rouler sur une fille, lécher une banane dans un slip, se faire badigeonner de moutarde, et l'obsession du sale, toujours... Eh, c'est qu'on est les "grandes" écoles! on est "supérieur"! Et la complicité des maîtres. Oui, vous, les profs, les doyens, les directeurs, qui vous dites "éducateurs"! "Nous limitons les risques de débordement" écrit le président de la Catho de Lille. On peut humilier, mais sans excès! C'est des éducateurs qui disent ça. Il y a même des profs de philosophie, parmi eux. "Toute société possède un rite de passage de l'adolescence à l'âge adulte" prétendent ces imbéciles. "Bonjour, je suis le rite, je suis quasiment scientifique; l'Histoire, que je représente ici, t'enseigne que je peux te forcer à te mettre à genoux pour répéter après moi: je suis une larve." Moi qui n'ai jamais subi un tel rite de passage -et les millions de gens qui sont dans mon cas- devons-nous courir chez un psychiatre? Con comme une tradition: il lui suffit d'être traditionnelle pour se croire légitime. On nous resort alors les Indiens, les épreuves, les Mondogomores... Je voudrais bien qu'on me cite un seul rituel indien visant à humilier l'impétrant! Puis, lorsque les nouveaux auront prouvé qu'ils sont capables d'être aussi nuls qu'eux, les anciens retourneront à l'azur intellectuel. Pas facile lorsque la plate-forme d'envol est le trou-des-cabinets! Le bizut, lui, pourra bientôt entrer dans l'appareil productif: on sait qu'il est capable d'être médiocre; un vrai petit homme. Comment résister? Les gosses sont pétrifiés par la peur. Que faire? Cette année encore le ministre pondra sa note humaniste: les droits de la personne... tout ça... Autant dire rien. C'est à la société de s'insurger. A nous. Montrons du doigt les bizuteurs et leurs complices professoraux, ridiculisons-les, soyons violents. Ridiculisons la direction de la Catho de Lille qui tolère s'il n'y a pas d'excès. Tiens, président de la Catho de Lille, suce moi la banane dans le slip! C'est pas grave: c'est bon enfant! Mets toi en position, je vais t'infliger de légères vexations! Comment ça, ta dignité, ton âge? Ya pas d'âge pour entrer dans l'élite! Lire: Bizutages, revue Panoramiques, réuni par Marie-Odile Dupé, 230 p., 76 F., et Du bizutage, des grandes écoles et de l'élite, Emmanuel Davidenkoff et Pascal Junghans, Plon, 198 p., 99 F. Jacques Bertin |