Le malin plaisir de Jacques Bertin (27 mai 1992)


 
Les nouvelles: on a implanté un stimulateur cardiaque au général Pinochet. Un très puissant, je suppose. Parce que cet homme-là, c'est pas les mouvements de son cœur qui l'ont gêné toutes ces années. Lui, c'est pas le cœur qui l'étouffe. Stimuler le cœur de Pinochet! Serait-ce pas plutôt un simulateur cardiaque, qu'ils lui ont mis? Ou pourquoi pas, un cœur entier? Je savais même pas qu'il avait un cœur, Pinochet. On devrait davantage lire les journaux. Passons. C'est juste pour faire un mot.

Le même jour, on a enlevé le simulateur cardiaque du gouvernement français. Là aussi, je dis juste ça pour faire un mot.

Le même jour, Atahualpa Yupanqui est mort. Ce qui m'a surpris, c'est d'entendre la nouvelle à tous les journaux télévisés de vingt heures. Comprenez si vous pouvez. Les mêmes, qui trouvèrent la nouvelle assez importante pour figurer à nos menus du "prime time", n'auraient jamais accepté de consacrer au chanteur une petite émission à onze heures du soir. Il faudrait peut-être mettre un stimulateur cardiaque à la télé.

Le même jour, c'était le bicentenaire de la chouannerie. Pourquoi en parler ici? Parce que, bande d'ignares, vous confondez traditionnellement la révolte des Vendéens et la chouannerie. Un chouan, ça n'a rien à voir avec un Vendéen de l'armée catholique et royale. La révolte de la Vendée fut une guerre populaire de masse. On se levait par paroisses entières et des dizaines de milliers d'hommes partaient par les champs, vers Nantes, vers Cholet, vers Saumur. Puis on rentrait s'occuper des bêtes. Tandis que la chouannerie fut une guerre de maquisards, de petits groupes de comploteurs dispersés au nord de la Loire, sur les marches de Bretagne. L'un des chefs du mouvement fut Jean Cotereau, un gars de Fougères (ou du Coglès?) dont le signal de ralliement était le cri de la chouette. D'où son surnom de Jean Chouan. Il fut tué. D'après son descendant que j'ai connu, sa femme épousa son frère. D'où le descendant. Ces chouans étaient très souvent d'anciens faux-saulniers que la suppression des frontières internes avaient privés de leur gagne-pain. Dans le même ordre d'idées, lorsqu'on entend dire que le parlement de Bretagne se leva pour "défendre la liberté de la Bretagne…", (il y a même à Rennes, une plaque, sur un mur, qui dit à peu près cela; plutôt comique…) il faut traduire: le parlement de Bretagne ne représentait nullement les intérêts du peuple breton, mais celui de ses membres qui n'étaient pas les plus pauvres du coin, si vous voulez mon avis.

Pourquoi je vous dis tout ça? Parce que, de temps à autre, je vous serais reconnaissant de souffrir que je prenne mon plaisir à ce qui me fait plaisir. Bavarder, aller au vague, à la godille dans ma tête.

Mais, dès jeudi prochain, je vous promets que je remets ça, un éditorial de mauvais coucheur culturel. Je prendrai un malin plaisir à me faire mal voir par quelqu'un, c'est promis.

Jacques Bertin