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Le malin plaisir de Jacques Bertin
(4 octobre 2001)
C'est le nouveau scientisme en vogue qui dit cela. Jean-Claude Guillebaud a voulu y voir plus clair. Guillebaud est éditeur (Arléa, Le Seuil) et journaliste. Parmi d'autres livres, il a publié un magnifique roman, l'Ancienne Comédie (Seuil, 1984). Dans ses plus récents ouvrages, il fait le point sur nos croyances occidentales. J'ai émis en son temps des désaccords sur la Tyrannie du plaisir; je conseille très vivement -plus que jamais, depuis le 11 septembre- la lecture de la Refondation du monde (Seuil, 1999), sur le lien entre la pensée judéo-chrétienne et l'idée de liberté de la conscience individuelle, fondamentale dans la démocratie. Cette fois, il étudie les rapports entre la science et la morale. Gènes, clonage, ordinateurs, homme nouveau, eugénisme, etc., Guillebaud résume et explique avec un remarquable talent de vulgarisateur. On n'est pas contre la science. Sauf qu'au moment où elle est capable de tout, elle prétend aussi -car refuser la science c'est être réactionnaire - ne pas être remise en question elle-même et donc nous indiquer ce que nous allons vivre. Guillebaud fait remarquer que cette prétention à dépasser l'idéologie constitue en elle-même une idéologie. Certains disent que l'homme n'est pas au centre du monde mais seulement un animal "comme les autres". L'homme est une fiction, que la science est capable de désosser. Donc, problème moral résolu: plus besoin de choisir! Plus besoin d'idée de l'homme pour construire le fils aîné du cochon à roulettes. Le christianisme, l'humanisme, en protégeant les faibles, seront-ils demain des aberrations irresponsables? Certains le disent déjà, ne voyant plus la césure entre civilisation et barbarie. Guillebaud fait remarquer que le principe même de notre humanité, c'est notre révolte contre les lois de la nature. La bonté, que les imbéciles appellent faiblesse, est le propre de l'homme. Les animaux ni les nazis ne connaissent la bonté Oui, nazis, car le scientisme est consentement aux nouvelles logiques inégalitaires, et l'inégalité génétique conduit à la cruauté sociale. "Adieu désenchantements fin de siècle qui n'engagent à rien!", écrit Guillebaud. Dissoudre l'homme -ce qui fut la tâche majeure des penseurs et des artistes depuis un siècle- n'a plus guère d'intérêt de nos jours: aimable passe-temps pour les bourgeoises. D'après moi, il y a urgence, au contraire, à reconstruire! Si l'homme n'est qu'une fiction, c'est donc qu'il est à inventer. Guillebaud rappelle par exemple que, dans le domaine prénatal, à chaque fois qu'il y aura dilemme -faut-il faire naître ce petit d'homme pas très parfait?- , ce sera bien par un choix moral que le médecin devra répondre. Il y a donc nécessité d'un "surcroît de volonté et de conscience pour déterminer non pas ce qu'on peut faire, mais ce qu'on doit faire". Guillebaud rappelle que le "principe d'humanité échappe à la rationalité instrumentale" car l'homme se dérobe à toute définition. Les scientifiques ne sont pas plus qualifiés que les autres pour en décider. Livre utile. On signale qu'il se vend beaucoup. Parfait.
Le principe d'humanité, Jean-Claude Guillebaud, Seuil, 380 p., 130F.
Jacques Bertin |