Le malin plaisir de Jacques Bertin (12 avril 2001)


 
Un cul très médiatique
 

 
Il y a des moments où la pression du Tout-Paris vraiment est trop forte. Je fais allusion aux aventures de Catherine Millet. Impossible d'y échapper, n'est-ce-pas? La vie sexuelle de cette personne fait l'objet ces jours-ci d'une campagne promotionnelle d'une puissance inouïe. Elle fut une partouzarde de choc, qu'elle dit, et nous raconte ça dans un ouvrage. Bon, elle fait ce qu'elle veut avec son cul. Et elle a même le droit d'en faire des livres. Le problème, en principe le seul, devrait être de savoir s'ils sont bons. Sauf que je n'irai pas voir. Pourquoi? Parce que je déteste qu'on me force la main -si j'ose dire. Et on a tout de même un peu trop l'impression d'être victime d'une bande, là, tous ces copains qui font la haie d'honneur avec leurs articles, et Pivot à la fin.

Ce qui me navre, c'est que la gloire de son cul servira demain à cette fille pour légitimer ses choix artistiques. Car madame Millet est critique d'art et fait métier d'écrire des sottises sur l'art contemporain. Vous pourrez toujours vous dire que ce sont les choix de son cul, oui, mais vous ne l'empêcherez pas de se servir de ce haut-parleur pour se faire mieux entendre.

Que faire? Eh bien, d'abord, j'ai arrêté les partouzes dès que j'ai appris que je risquais de l'y croiser.

Ensuite, je ne lirai pas son livre. Vous pouvez me l'ordonner sur tous les tons. J'affirme depuis longtemps ce principe de vie qui, je crois, me préserve: devant l'injonction médiatique, nous n'avons qu'une seule chance de nous en tirer, c'est la mauvaise foi. Alors je joue au chat et à la souris avec le conformisme obligatoire. Tous ces chefs-d'œuvre qu'il faut avoir vus ou lus avant demain soir sous peine de manquer notre époque, je les contourne, je les refuse, je les nie. Sollers me dit-il de lire un livre, j'en note soigneusement le titre, pour ne pas risquer de l'acheter par hasard. Mais on me traque: fais ceci, lis cela, aime ce qu'on te dit, ne fais pas le malin tu es perdu d'avance, on s'y connaît, rends-toi (à l'évidence), toute résistance est inutile. Eh bien, je m'enfonce dans la solitude, je suis sans conversation mondaine, je m'émerveille de petits auteurs, de poèmes anciens, d'histoires de Canada. Je ne suis pas sortable. Je ne sors pas. Je manque des "temps forts" et des "événements pour l'édition". Et Catherine Millet…

On me dit: elle a du talent. Non, sans blague? Il y a des milliers de gens qui ont du talent et que je n'ai pas commencé à lire! Et d'autres, aussi nombreux, qui, sans avoir "du talent" parfois, ont dit, écrit, fait des choses considérables et passionnantes pour enrichir notre humanité. Alors madame Millet n'aura qu'à partouzer toute seule.

Mon autre sujet cette semaine sera le retour de Bernard Tapie à Marseille. Le bandit qui revient se faire ovationner dans le stade, comme dans un péplum, y faisant huer les juges et la morale, c'est exactement ce que nous décrivions il y a trente ans, au début de la société médiatique. Nous y voilà. C'est inquiétant comme un fascisme.

Vous allez maintenant me demander ce que je pense de Georges-Marc Benamou…

Et Johnny? Vous me parlez pas de Johnny! Qu'est-ce qu'il fout, Johnny? Parce que Millet baisée par Johnny en direct au 20 heures, avec Sollers qui nous expliquerait pourquoi c'est contemporain, Nanard qui nous vanterait ses mérites de gagneuse, et Benamou, qui, au moment de l'orgasme, lui demanderait ce qu'elle pense du maréchal Pétain, ça aurait de la gueule, avouez!

Jacques Bertin