Le malin plaisir de Jacques Bertin (15 février 2001)
Une chose au moins est certaine dans l'affaire d'Emile Louis et des disparues de l'Yonne. C'est que dans la même région et à la même époque fut découverte une maison transformée en commerce de tortures dont on put arrêter les tenanciers, un couple qui fut condamné. Deux jeunes filles y subissaient viols multiples et sévices "hard". L'une des deux venait du même centre "éducatif" que quatre des victimes supposées d'Emile Louis. Il semble qu'aucun client de ce lupanar abominable n'ait été inquiété, le carnet d'adresses du commerçant ayant disparu dans les bureaux du palais de justice d'Auxerre. Cela constitue une très éclatante confirmation des thèses belges sur l'existence de réseaux organisés d'enlèvements et de violences sur enfants et jeunes gens. On sait que l'affaire Dutroux-Nihoul a divisé en deux le peuple belge, et son milieu intellectuel tout particulièrement. D'un côté, ceux, les militants du mouvement blanc et les 300.000 manifestants de la marche blanche, qui croient à ces réseaux, aux témoignages des victimes, et à des "dysfonctionnements" de la justice si grossiers qu'ils ne peuvent qu'être volontaires. De l'autre, la grande majorité des élites institutionnelles et des intellectuels, s'élevant contre les prétendus fantasmes et délires des premiers, qualifiés de populistes. La lecture des documents, la raison et la bonne foi me font me placer dans le premier camp. Oui, dans l'affaire Dutroux-Nihoul, des témoignages indiscutables montrent qu'ont bien existé des réseaux impliquant plusieurs des plus hautes personnalités du Royaume. L'affaire d'Auxerre, là-dedans? Le Quiévrain nous protège des nuages radioactifs et des perversions sexuelles! Donc, quelques journalistes ont très tôt affirmé qu'il fallait se garder de croire aux rumeurs, que des réseaux c'était "impensable", que le peuple est prompt à la "psychose" et qu'il fallait raison garder. Je pense en particulier à un étonnant article de Daniel Scheidermann, dans Le Monde. Comme si la tâche première des intellectuels était de contenir la supposée bêtise populaire. Mais peut-être ne font-ils là qu'exprimer des choix de classe. Eh bien, ces journalistes, au lieu de se poser en juges du bien et du mal, auraient dû rester au moins prudents. En France, depuis quelques semaines, on peut au moins dire que des lieux de tortures tels que ceux décrits par les témoins belges ont existé récemment, que des coupables ont avoué, que, "dysfonctionnement" de forme belgoïde, le carnet d'adresses des clients a disparu 'tandis que ma feuille d'impôts, elle, ne disparaît jamais, ni mes factures d'électricité, ni nos feuilles de sécu, ni vos contraventions). Et donc enfin qu'il s'en passe de belles, au palais de justice d'Auxerre. Car comme par hasard, dans la même bâtisse, plusieurs autres bizarreries (et si c'étaient les mêmes, je veux dire la même affaire?) ont permis à Emile Louis (et consorts?) de se faufiler pendant des décennies. Et ce n'est pas l'imagination du peuple analphabète qui invente tout cela. La lucidité nous oblige donc désormais à guetter l'apparition d'un mécanisme de blocage "à la belge" dans les milieux intellectuels et les médias. Qu'est-ce qui me permet de dire ça? Ben premièrement, les dysfonctionnements ont déjà commencé, la disqualification du peuple a déjà commencé. Et deuxièmement, quand je regarde la Belgique, je ne vois pas que des frites, moi. Jacques Bertin |