Le malin plaisir de Jacques Bertin (8 mars 2001)


 
Sur la pédophilie
 

 

Je suis en désaccord avec le dernier Bloc-notes de Bernard Langlois consacré à Cohn-Bendit. Voici pourquoi. D'abord, il faut affirmer que sur ce thème de la sécurité des enfants, la sensibilité extrême de la population est parfaitement justifiée. Mais voilà : à peine DCB a-t-il été attaqué ("de la façon la plus basse", précise Bernard; je ne saisis pas; est-il irrévérencieux que, sur un sujet aussi grave, on lui demande de s'expliquer?) qu'instantanément un tir de barrage nous écrabouille.

L'argumentation est grossière. "On a tous, à l'époque, signé des conneries, car c'était l'air du temps". C'était "notre révolution", ajoute Bernard. Or, 1) cette "révolution" prétendait être précisément celle de la pensée autonome contre tous les conformismes! Et puis, 2) est-ce que cette boutade vous exonère jusqu'à la fin des temps de l'examen critique des conneries en question? Si vous admettez que la révolution lyrique a échoué parce qu'elle était trop idéaliste, admettrez-vous aussi que la révolution dans la sexualité des enfants a pu être victime de la même erreur? Que le touche-pipi libéré (des millions de gosses scolarisés touchant pipi selon les directives ministérielles, je vois le tableau…) était aussi bête que la fin de l'autorité! Est-il ignoble de poser cette question?

Les défenseurs de DCB: "Faut mettre la phrase dans son contexte!" Eh bien, le contexte, c'était une époque où la pédophilie était beaucoup moins combattue qu'aujourd'hui; c'est pourquoi la phrase pouvait avoir des conséquences plus graves encore!

Défense de DCB: je voulais épater le bourgeois. Bon. Quelqu'un, Bernard, qui dit avoir écrit à trente ans "pour épater le bourgeois", est peut-être digne d'assumer des responsabilités politiques de haut niveau, mais poser seulement la question me fera-t-il passer pour un immonde? Suis-je déjà dans la chasse à l'homme?

Dans Le Monde, trois intellectuels autorisés (l'un est un ami; ah merde…) opposent la "vox populi" (c'est-à-dire les gens; très péjoratif), qui s'en prend à DCB, à "ce que presque tout l'establishment de l'époque signait des deux mains". Eh bien, tout est là, dans cette phrase. Ceux qui signaient, ceux qui parlaient, c'était, c'est encore, l'establishment. Pas moi, ni aucun de mes frères, sœurs, cousins et cousines, ni ceux avec qui j'ai travaillé pendant des années, et qui, pourtant, étaient le peuple de gauche. Nous n'étions pas, faut croire, "la génération 68", ainsi que l'establishment s'intitule avec arrogance. Nous n'étions que des analphabètes, des bientôt méchants, des futurs gens… Et eux, voyez-les se dressant comme un seul homme: on a touché à l'un des nôtres! Une tribu, dans ce pays, bloque le débat depuis des décennies. (Par ailleurs, la vox populi n'avait encore rien dit, à ce jour, n'en ayant pas eu le temps).

Bernard, avec un lyrisme parfaitement anti-historique, parle des "martyrs" de cette révolution (avec des guillemets, vu qu'ils ne furent victimes que d'eux-mêmes). Pour moi, les vrais martyrs, ce sont ceux qui, trop discrets, trop nuancés, trop responsables, pas assez hâbleurs, pas assez "radicaux", furent mis cocus par la parole. Ne sachant pas la prendre. Des millions. Je me situe au milieu d'eux.

Critiquer 68, ce serait avoir "la haine de mai". Nos princes sont bien protégés! Une question, pour finir: allons-nous faire une fois de plus l'erreur de laisser aux vrais populistes la discussion de ces questions?

Jacques Bertin