Le malin plaisir de Jacques Bertin (20 février 1992)


 
Monterai-je seul à l'assaut de la bêtise, de l'Islam intégriste et de l'Iran réunis? Je le ferai, pour défendre, de ma bien petite voix, un écrivain que des centaines d'autres voix, et plus autorisées que la mienne, ont déjà défendu, Salman Rushdie, condamné à mort par les Ayatollahs sous le prétexte qu'il aurait, dans ses Versets sataniques, blasphémé le nom d'Allah et de son prophète. C'était il y a maintenant trois ans et le blasphémateur est toujours menacé. Si j'ai bonne mémoire, il avait raconté à peu près que Mahomet avait été tenté. Et il mettait en scène la tentation. Chez nous, il y a quelque temps, on avait vu un cinéaste décrire la tentation de Jésus, et, de ce fait, subir les foudres de certains chrétiens. Car il ne fallait pas "manquer de respect". Je monterai. Au risque de voir mon âme se faire écraser dans le claquoir des livres anciens comme Abélard. Je ne crois pas que ça changera quoi que ce soit mais tout de même, on ne peut laisser passer l'occasion de répéter les évidences: l'intelligence est aussi fonction du rapport de force social. C'est triste mais c'est ainsi: si l'on se tait, ILS avancent.

Ils, c'est à dire tous ceux qui se croient investis par Dieu pour nous apprendre le respect. Notez bien qu'on ne parle jamais de blasphème contre l'intelligence ou de manque de respect à la communauté des agnostiques. Dire des âneries catholiques, musulmanes, juives, ce n'est pas blasphémer, c'est avoir une foi inébranlable. Mais dire que Dieu ou Jésus, ou Machin a tenté de s'envoyer aux cieux avec une dame, même si c'est dans un bouquin que seuls liront quelques intellectuels désaxés, c'est criminel. Quelques-uns, qui ont une curieuse conception de la liberté, défendent Rushdie en précisant que certes ce qu'il fait vivre à son héros est très choquant mais que "ça se passe en rêve"; d'autres plaident qu'il a l'excuse d'être un grand écrivain. Pour moi, la liberté ne se divise pas. Rushdie aurait-il écrit les pires insultes contre Dieu dans le pire torchon porno et dans le seul but de gagner beaucoup d'argent en pervertissant la population, il en a le droit s'il ne m'oblige pas à le lire. Banalités qui méritent d'être répétées. Contre les censeurs, je ne vois qu'un moyen de lutter: faire progresser le blasphème. Blasphémons, mes frères dans la mesure exacte où les respecteurs essayent de nous terroriser. Tu veux me faire marcher droit? Je marcherai donc de travers jusqu'à ce que tu te calmes.

Eh bien, histoire de faire hurler ces ceusses-là en appliquant ce chouette principe, je vais ici même ouvrir ma campagne de printemps en vous racontant les aventures que j'ai vécues en compagnie de Jésus et Mahomet quand on était jeunes, tous les trois; deux joyeux lurons, si vous voulez me croire. Je vous parle de ça, c'était avant qu'ils aient été récupérés par Jean Poldeu et Rominet. Les bamboches qu'on se faisait tous les trois! Moi, c'étaient les mobylettes qui me rendaient dingue, on a chacun ses fantasmes. Ces salopes avec leurs grosses sacoches avachies, surtout! Bien sûr, les pneus aussi, c'est bon, pas trop gonflés, par exemple un solex avec les pneus noirs, ça me fait bander. Fallait voir ce qu'on faisait comme orgies! Comment que je leur titillais le bout des pédales en leur arpégeant les rayons! Et je vous dirai rien sur Jésus et Maho. Salman, lui, il fait des actes contre nature avec sa gazignaire en hululant des versets du Coran exprès pour faire enrager les employés du gaz. J'espère que l'EDF-GDF va lui balancer une fatwa.

Du coup, ça y est, je m'attends à être désigné à la vindicte universelle comme blasphémateur, blasphémateur et blasphémateur. Partout, on s'arrache les amygdales en se roulant par terre et en criant "ARRRHH!" avec beaucoup de "R". Mais j'aime ça, être poursuivi dans les rues par des Aztèques avec leurs grandes barbes effilées et empoisonnées au bout. Attends-moi, Salman, et ne sens-tu pas que ça va déjà mieux pour toi? On est deux.

Jacques Bertin