Le malin plaisir de Jacques Bertin (29 mars 2001)
Voici une bonne nouvelle: la collection Poètes d'aujourd'hui reparaît. Lancée par Pierre Seghers en 1945 (le numéro 1 fut un Paul Eluard), cette collection connut pendant des décennies un grand succès. Des centaines de poètes y furent honorés. Une brève présentation, quelques poèmes, une biographie, un format pratique, un prix modique Et une réussite. Plusieurs générations de lecteurs y apprirent la poésie. Le mot était passé dans le langage courant: on disait "le Seghers" d'Untel Elle s'était éteinte lentement au long des années 90. Les derniers numéros que je trouve dans ma bibliothèque sont Kateb Yacine (n° 266), Georges Perros (267) et Pierre Morhange (n° 268). La plupart des titres étaient épuisés. Seghers avait été repris par Robert Laffont (qui avait lui-même débuté en éditant des poètes, à Marseille), puis Laffont par Fixot. Et voici que la collection renaît, sous la direction d'Alain Veinstein. Quatre numéros viennent de reparaître. Il y a le Baudelaire par Luc Decaunes, poète lui-même, qui est décédé ces jours-ci (il avait son Seghers, le n° 183, et avait été longtemps un collaborateur de Guy Rétoré au TEP). Il y a un beau Rimbaud par Lionel Ray. Il y a un Ponge par Philippe Sollers (Ponge est talentueux et à la mode dans certains milieux, mais il est aussi exaltant que la liste des commissions ). Il y a un Apollinaire, enfin, qui est l'exemple de ce qu'il ne faudrait pas faire. Une grande partie du succès de l'ancienne collection était en effet dans ces préfaces qui étaient de simples et chaleureuses incitations à la découverte. Ici, celle de Daniel Oster est follement absconse, il est peu probable qu'elle incite quelqu'un à lire l'auteur de la Chanson du mal-aimé. Si l'ancienne bonne recette n'est pas ainsi gâchée, cette nouvelle aventure permettra à tout un tas de poètes de revivre. Et à des contemporains d'émerger. L'éditeur annonce pour l'automne d'autres rééditions et des publications nouvelles. Et, tenez, comme on célèbre ces jours-ci René Guy Cadou, à cause du cinquantième anniversaire de sa mort à Louisfert (Loire-Inférieure) le 21 mars 1951, annonçons que son Poètes d'aujourd'hui, paru en 1954 (n° 41) avec une très émouvante présentation par Michel Manoll, sera réédité à la rentrée. Ce petit livre demeura en circulation plus de quarante ans, un exploit que très peu d'écrivains peuvent revendiquer. Ses uvres complètes (elles aussi constamment disponibles pendant vingt-cinq ans!) seront également rééditées chez le même éditeur. Oui, quelque chose peut tuer la collection renaissante: c'est qu'elle devienne la proie du club des théoristes, avec leurs ciseaux, leurs clystères et leurs ordonnances. Les horlogers catastrophiques qui ont désossé la poésie pour voir ce qu'elle avait dans le ventre ont eu de plus en plus raison et de moins en moins de lecteurs Si Alain Veinstein se laisse avoir, c'est fichu Un regret, enfin, bêtement sentimental: ces livres ne sont plus numérotés; cela manquera à leur charme. Si l'on veut des numéros anciens, on pourra à coup sûr les trouver à la librairie Au Pont traversé, de feu Marcel Béalu, autre poète (Seghers, n° 133). La boutique au 62, rue de Vaugirard, à Paris, est bourrée de poésie, comme de poudre. Et pour faire bon poids, j'ajouterai enfin que Philippe Jacottet, poète (Seghers, n° 228) et prosateur remarquable, fait l'objet d'un mérité hommage par Le Temps qu'il fait (cahier 14, 327p., 190F). Allez, la poésie vivra, si les poètes ne la tuent pas. Jacques Bertin |