Message à ceux qui
m'envoient leurs poèmes
Merci à vous, pour cet envoi. Il m'honore.
Il est bon d'écrire des poèmes : on prend le risque de
l'œuvre d'art, et la chance de se trouver. Il est sain d'être
à l'écoute de son âme, et d'y ouvrir des chemins.
Apprendre à canaliser les sentiments, les émotions, les
sensations, apprendre le bonheur de nommer, celui d'inventer, tout ça
est bien.
Il est bien de faire circuler les poèmes, de les offrir, de
les faire vivre. Les lecteurs y voient le signe de l'affection, ils
s'enrichissent de vous connaître mieux et s'enrichissent de vos
trouvailles.
Donc je vous remercie. Mais n'attendez pas que je vous dise "ce
que j'en pense". Ce que j'en pense, je le garderai pour moi. Plusieurs
raisons m'imposent cette discipline.
Sachez que je reçois beaucoup de ces courriers-là, de
ces cadeaux-là. Trop pour pouvoir répondre sérieusement
à chacun. Et sachez que je n'ai ni le talent d'éditeur
(c'est un métier), ni celui de critique (c'est un métier).
Et puis, même si elle n'est pas normative, j'ai ma conception
de la poésie, j'ai mes idées. Celles-ci et celle-là
ne sont pas universelles, elles ne sont pas, évidemment, à
imposer, ou opposer, à tous, donc pas à vous !
Et j'écris moi-même de la poésie, ce qui m'incite
à la modestie et à la modération dans mes jugements.
Je ne suis pas non plus un lecteur de hasard, bien sûr ! Je sais
qu'on a envoyé ces textes "à Bertin". Et je
sais donc que, pour beaucoup, c'est beaucoup. Mais je me suis toujours
gardé de donner mon avis, sauf à quelques amis très
proches et très durables, et longtemps après, et par toutes
petites touches, encouragements, allusions. Car, sans me prendre pour
un grand homme, je sais qu'on a assez confiance en moi pour qu'à
rebours mon avis devienne aussi violent qu'un bulldozer dans un jardin.
Voilà pourquoi je crois être tenu à la discrétion.
Et puis : "N'écoute personne !", est le mot des vieux
écrivains aux jeunes, toujours.
Donc, ne vous étonnez pas de mon silence. Trouvez-y l'expression
de mon respect. J'y emporte vos poèmes, vos émotions,
votre amitié.
Jacques Bertin