Journal d'un chanteur


par Jacques Bertin

Pourquoi Douai ?

 

Le Prix Jacques-Douai, étant lancé, il convient de s'expliquer un peu. Pourquoi un prix ? Pourquoi Jacques Douai ?

Pourquoi un prix ? Pour honorer cet homme, bien sûr. Et aussi, et surtout, des valeurs.

J'avoue avoir été, avec l'autorisation de madame Pagava-Douai, l'instigateur de cette entreprise : j'ai tout simplement appelé quelques-uns de mes amis, ajoutant des noms à ma liste avec l'approbation des précédents, et ainsi de suite. Des chanteurs, des professionnels de la culture, quelques journalistes spécialisés, rien que des gens qui suivent ça depuis des années. Quelques proches de Jacques Douai. Aucun commercial.

Pourquoi Douai ? L'histoire commence… à Douai, en 1920. Gaston Tanchon est d'origine chrétienne, son père est chauffeur-routier, chauffeur de taxi, employé des chemins de fer. Gaston Tanchon travaille à 17 ans.

En 1940, la guerre le pousse au sud - à vélo. Il cherche en vain à s'embarquer dans un port de Méditerranée. A Toulouse, il rencontre Léon Chancerel, fondateur des Comédiens-routiers. Puis aux Chantiers de jeunesse, André Bellec, l'un des futurs Frères Jacques, lui indique un stage organisé par Olivier Hussenot (Gaston Tanchon sera trois ans dans la compagnie Hussenot). Et on le retrouve à Uriage, lieu mythique du renouveau intellectuel français. Il y a là, déjà, un itinéraire…

Le chanteur Jacques Douai débute au cabaret Chez Pomme en 1947 à 27 ans. En 48, il chante à La Rose rouge. Puis il rencontrera Léo Ferré au Quod Libet de Francis Claude, et il en deviendra l'interprète. Puis encore le long compagnonnage avec ses producteurs discographiques, Albert et Odile Lévi-Alvares (les disques de la Boîte à musique). Démarre alors une carrière d' "ambassadeur" de la culture française à l'étranger. Ca ne suffit pas : avec son épouse Thérèse Palau, ayant fondé le Ballet national de Danses folkloriques, il invente le Théâtre Populaire de la Chanson : une tentative pour enlever un peu de la chanson aux affairistes. Nous sommes en 1966 et le grand décervelage commence. Douai se bat contre "La commercialisation de plus en plus voyante du marché de la chanson" et "le risque de voir disparaître les interprètes qui ont choisi un répertoire de qualité en refusant toute concession à la mode et au commerce".

C'est cet homme-là (1) que nous honorons. Attention : sa lutte contre est aussi l'affirmation de l'existence d'un patrimoine et d'une création, les deux étant mêlés dans sa propre pratique artistique. De même, il fut un artiste de haut niveau et un militant. Il est symbolique de cette extraordinaire génération de l'après-guerre que nous avons tellement admirée pour sa façon d'avancer dans l'art et dans l'idéal à la fois. Cette génération, hélas, comme une vague, s'est brisée sur la modernité culturelle, ce mélange de carriérisme et d'affairisme, d'avant-gardisme bidon, de rébellion à consommation rapide… Il n'est que justice de l'honorer et ainsi de montrer aux plus jeunes certaines voies.

Les valeurs sont dans le libellé du Prix. Celui-ci n'a aucune surface commerciale. Il fonctionne sans égard pour les règles habituelles ni le métier.

 

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(1) Je parle ici en mon nom. Les membres de notre jury n'étant engagés que par le libellé du Prix.

Lire : Les hommes d'Uriage, Pierre Bitoun, La Découverte, 1988. Et : Jacques Douai, Luc Bérimont et Marie-Hélène Fraïssé, Poésie et Chansons n°28, Seghers 1974.