Le Dauphiné libéré 11 juillet 2005 |
JACQUES, l' "IMBERTINENT"
"Bon à tout, bon à rien ?" se demandait Boris
Vian en s'observant sans indulgence dans le miroir déformant de
sa boulimie d'activités. Il y a fort à parier que la question
taraude Jacques Bertin, lucide à l'extrême, lui aussi, face
à ses multiples champs d'expression. Rassurons-le. On pourra l'accuser
de diversité, jamais de dispersion. Qu'il chante "son vrai
'métier'", qu'il écrive des articles, des poèmes
ou une biographie, il est toujours solidement lui-même, fidèle
à ses idéaux, à ses exigences, à ses rages,
à ses désespérances, à ses fraternités.
En voici ces jours-ci quelques preuves disséminées discrètement
dans le grand tohu-bohu d'un monde qui se fiche comme d'une guigne de
la droiture et de la pureté. D'abord, Bertin était récemment
sur de petites scènes, presque familiales à Buis-les-Baronnies,
à Villard-de-Lans ou ailleurs. Nous l'avons retrouvé, guitare
en main, verbe au front, fervent émule de Félix Leclerc
portant haut "le chant des hommes" qui irrigue les peuples.
Grands moments d'intensité. Magistraux pieds de nez au prêt-à-vociférer
servi jusqu'à outrance à la télévision. Ensuite
Bertin publie un recueil de "mélanges" ("Fragments,
notes jetées, morceaux de chansons, éructations"…)
dans lequel, à l'instar des précédents, il dit son
inaptitude au bonheur programmé, les trahisons et la foi, les amours
mortes qui brûlent encore. "La blessure sous la mer",
"Je suis du côté du regret et du remords/ Je suis du
versant du chagrin et du dépit/ Je suis de l'épaule de l'est
et de la pluie/ et du charroi versé dans le chemin du nord/ je
suis du froid qui mord je suis/ de la durée et de la dette/ je
suis de toi et du mépris…". Foutu l'écorché
vif ? "Blessé seulement", ouf ! le titre console
un peu. Enfin, Bertin reste journaliste, sinon dans une rédaction
du moins dans l'âme. Arc-bouté à une conception populaire
du divertissement et du savoir, il fut pendant treize ans le responsable
des pages culturelles de l 'hebdomadaire "Politis". Ca laisse
des traces qui s'appellent "Chroniques du malin plaisir" ( ?).
Une poignée de textes au carrefour de l'éditorial, du billet
d'humeur et de la confession. Notre société fanfaronne y
est passée au crible de la sagacité et de l'ironie. Les
moindres travers sont pourfendus. La lampe de la vigilance est tenue allumée.
Un humanisme s'en dégage. Rejoignons ce drôle de Jacques
qui "veut bien être chevalier de la légion d'honneur
", mais à la condition qu'on lui fournisse le cheval. Caracolons
avec lui. Ses déchirures sont un viatique. Ses propos une hygiène
de vie. Son "impertinence" une ligne de conduite. Didier Pobel |