n° 195
octobre 2015

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Adieux, saluts et coups de chapeau...


Adieu ! Adieu ; et d’abord un tour à Québec, où la maison du Consulat de France est vendue. Au coin de la rue Saint-Louis et de la rue Haldiment, sa situation était idéale : dans le haut de la ville, en plein centre historique, des milliers de touristes, chaque jour, la voyaient, austère et belle, qui témoignait... Adieu.

Adieu ! Un tour au bistrot... Ah, je n’y vais plus beaucoup, à cause du boum-boum et de la clim’... Le boum-boum n’est pas une nouveauté : c’est l’idée idiote des bistrotiers français que le bruit, c’est la vie. Donc boum-boum (et la machine à café qui en rajoute) ! Affreux.

Eh bien, maintenant, il y a aussi la clim’. Ce courant d’air glacé (pour qu’il fasse 20° dans la pièce lorsqu’il fait 22° dehors, il faut que l’air sorte à 10° !) qui vous chahute le crâne... Une demi-heure de clim’ dans un bar naguère sympathique et le mal est fait : je mouche et je râcle. Le boum-boum en plus de ça... Je sors du bistrot dans un état cataleptique. Salut !

Un tour au bistrot, à St Germain. Et faisons nous des ennemis ! Un tour dans l’histoire de France de la culture... (Attention : j’ai conscience que le paragraphe qui suit va paraître énigmatique à beaucoup – et surtout à mes lecteurs n’ayant pas connu la grande époque du PCF stalinien. Tant pis...) On s’interroge parfois sur les raisons qui font qu’à la gauche du PS on ne parvienne pas à monter un parti crédible et puissant. Une raison, parmi d’autres : le PCF, parti repoussoir. Oui, puisqu’il n’a jamais ouvert les tiroirs secrets du stalinisme français, jamais sorti les archives ni commencé les aveux de ses méthodes basses et coups tordus, ici, en France. Et comme, dans la période actuelle, les zones du pouvoir et de la parole sont peuplées d’anciens stals, fils de stals et cousins de stals, tout le monde ferme sa gueule... Tabou ! En gros : pour monter dans la hiérarchie du PC, dans ces temps-là, il fallait prouver qu’on pouvait trahir père et mère... Souvenez-vous - je dis cela pour les quelques-uns qui ont vu passer l’affaire, naguère - de l’affaire de Jorge Semprun et la cellule de la rue Saint-Benoît...

C’était quoi ? En deux mots. Il y avait, après la guerre, une section du PCF au quartier latin. Que du beau monde : Marguerite Duras, Edgar Morin et caetera... Et Semprun. Et après les réunions, au bistrot du coin, eh ben, on causait ! Et on disait du mal de X (du PC), de Y (du PC), et on se moquait du pif de Chose (du PC)... Un jour, ils sont convoqués au Comité central : vous avez déclaré que... Stupeur : quelqu’un les avait dénoncés !

Un livre (1), écrit 50 ans plus tard par un employé du Comité central, affirma que le cafteur, c’était Semprun... Archives officielles du PC à l’appui.

Incroyable mais vrai : la presse fit un total silence sur ce coup de théâtre excessivement théâtral. Semprun, lui, refusa sèchement de commenter.

Et alors ? Alors, ça paraît clair, maintenant : il s’agissait d’un coup de semonce du PC au Tout-Paris bourgeollectuel : attention, n’allez pas trop loin dans l’antistalinisme ; nous savons beaucoup de choses, la preuve ; ça pourrait faire très mal...

Ca a très bien fonctionné. Chapeau. Allez, salut. Sans rancune ! (Quoique...)

Un tour de France des pages politiques des journaux. Eternelle question de la réforme de notre système électoral... C’est notre sport national. Il est frappant de constater qu’aucun politicien ni aucun médiatique ne dit la raison principale de notre système uninominal à deux tours. La voici : jadis, les députés étaient élus au scrutin proportionnel. Donc de très petits partis (six députés, douze députés) étaient indispensables pour faire des majorités. De fait, ils étaient de tous les coups et c’est eux qui gouvernaient. Et d’où aussi l’instabilité de la IVème République.

Là, j’émets une suggestion. Je me résous à m’y résoudre, puisque personne n’a jamais proposé cette idée simple : double assemblée avec un Sénat élu à la proportionnelle et une Chambre des députés élue comme aujourd’hui. Cela permettrait la représentation de toutes les minorités politiques et la stabilité du gouvernement.

Suis-je toujours dans la culture ? Pas sûr. Le problème, c’est que, n’étant pas un journaliste politique, je n’ai jamais pu placer cette idée nulle part. Aujourd’hui, puisque j’en suis aux conversations de bistrots, en avant ! Mais je me suis trop avancé dans la politique. Partons... Où ai-je mis mon chapeau...

Un tour dans la musique. Il n’y a pas seulement le rock-où-on-comprend-rien (parce que la langue est devenue “ de la musique ”, c’est-à-dire du son). On entend désormais fréquemment de ces nouvelles chansons françaises avec accentuation tonique à l’anglaise – on peut déjà la nommer franglaise, ou franglouille. Exemple (je souligne les accentuations) : je dééscends les eskââliers du méétro... Sera-ce seulement une mode de quelques années ? Ou bien la langue continuera-t-elle à se disloquer ?) (Vous me direz que l’art lyrique fait ça depuis très longtemps, la dislocation de la langue française ; oui, mais ce n’était pas sous l’influence de l’anglais...)

Allez, âdieu ! Continuez sans moi, les pains...

Finissons par un éclat de rire. Le chapeau. Le chapeau de la star, sur la scène... Ou le chapeau du rocker débutant... Bref, leurs chapeaux à tous, sous les projecteurs. Chaque fois, le chapeau me fait rire. Ah les malheureux, comme ils doivent souffrir, là-dessous ! Vous imaginez la température ?

Mesdames et messieurs, ceci est une confidence nécessaire à votre compréhension de ces lignes : je suis chauve. Et je porte un chapeau, à la ville ; pas par coquetterie, mais par nécessité. Et il m’arrive de monter sur scène. Ecoutez bien : il faudrait me menacer avec des révolvers pour que j’aille sous les projos avec un chapeau ! Rien que d’y penser me fait des suées !

Ce qui fait que je m’interroge sur cet uniforme qu’ils portent tous. Mais oui, vous avez raison : c’est un costume de scène, un uniforme, une conformité à la règle. Mais là, la rébellion, l’anticonformisme frôlent l’héroïsme !

Souvenez-vous le comique-troupier de jadis, déguisé, caricatural. Voilà le comique-troupier revenu ! Mais tandis que l’autre jouait un rôle, eux jouent le premier degré ; eux plaident pour... Tiens, pour quoi, au juste ?

Allez, salut ! Et chapeau !

(1) lire : Procès stalinien à Saint-Germain-des-Prés, Gérard Streiff, Syllepse, 1999



Jacques Bertin