n° 196
novembre-décembre 2015

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On, la France


Qu’est-ce qui se passe dans ta tête, quand tu vois que le gars de la pizzeria d’à côté a mis un drapeau tricolore devant sa porte ? On s’en foutait un peu, nous aussi, de la France, ce machin qui marchait tout seul – en claudiquant... Mais voilà que le monde entier nous l’envoie dans la tronche : la France, va falloir t’en occuper, dis donc ! Lui donner du sens. A toi d’agir.

Ah, moi non plus, je n’aime pas trop ces symboles, drapeaux, hymnes, garde-à-vous. Mais je mets ça depuis mes vingt ans sur le compte de mon caractère - et non pas des symboles. J’ai toujours su ce que je devais à cette culture et ce que je lui devais, en retour. Et j’assumais. Suis-je devenu nationaliste ? Pas. Je suis juste d’ici. Je suis on. L’Histoire et le monde viennent de me le rappeler. National ; de « on »...Il faut l’assumer.

Car voilà que dans tous les pays du monde, on chante la Marseillaise ! Cette idée, qu’un metteur en scène de cinéma n’aurait pas osée : un stade en Angleterre, d’une seule voix, qui vient nous rappeler que si chez nous la France n’était, jusqu’à novembre, pas trop à la mode, elle existe encore dans le monde entier comme une référence, une valeur. Du coup, on grommelle, bon, on y va...

Je n’ai jamais tellement aimé ce texte – quoique le considérant avec respect et je ne suis pas du genre Gainsbourg, faisant le con avec. Mais soudain, je m’aperçois que le premier couplet correspond exactement à notre situation actuelle ! Lisez : Allons, enfants de la patrie, le jour de gloire est arrivé – contre nous, de la tyrannie, l’étendard sanglant est levé – ils viennent jusque dans nos bras égorger nos fils, nos compagnes !


Voilà les plus récentes réflexions que m’inspire ce pays. Ce pays qui, hier encore, allait mal, tout le monde le savait, tout le monde le disait. Ma concierge, mon plombier, l’instituteur de mon gosse ; et mon député, quoiqu’il en dise. Crise économique. Crise culturelle et crise morale, surtout.

Tenez :

- la langue : ce sont les élites – ou supposées telles, puisque le terme n’a rien de scientifique – qui sont à l’avant-garde du dévergondage, de l’approximation, du snobisme anglouilleux.

- l’éducation ? Le système égalitaire s’effrite ; on a compris que c’est au bénéfice des classes supérieures ; on va diminuer la démocratie, donc la république et donc le sens républicain...

- la culture, marquée par d’un côté le terrorisme du génie personnel : subventionnez et taisez-vous ; et de l’autre côté par le chaubise sans entrave (matraquage, massification de la consommation, terrorisme de la mode...)

- la France ? Oui, comme si tout était fait pour effacer ce machin archaïque. L’État ? Oui, la diminution de l’État par l’Europe et les privatisations de toutes sortes. La fin de l’État-nation, cet archaïsme.

- et la mondialisation, comment s’opposer ? Comment continuer à être ? Et être quoi ?

- et je ne vous parlerai pas de la dissolution de la famille. Voici l’avenir : chacun tout seul, toute la vie durant,  avec parfois un associé provisoire. Un idéal de vie...

- l’immigration ? Comment, sans débat, on est passé de l’assimilation à l’intégration. L’immigration qui ne pose aucun problème (excepté ceux venant de vous, méchants Français) ; et donc les frontières doivent être ouvertes, sinon, vous êtes des salauds.

- le social : l’oubli des classes populaires nationales et leur remplacement par de nouvelles classes prolétariennes immigrées... Et cette expression insultante aux pauvres : l’État-providence.


Bref, ce pays était à la dérive surtout parce que les classes supérieures ne voulaient plus de pays – sauf celui du pognon. Et les classes qui sont juste en dessous cravachaient pour embarquer avant qu’il soit trop tard.

On me demandait : t’as des solutions ? Non. Aucune. Une nouvelle humanité est en gésine. Solutions de remplacement ? Non. Traîner les pieds... La mauvaise foi... Le sarcasme... Rien.


Et les problèmes liés aux immigrations, bien sûr ! redire ce que j’ai déjà dit ici plusieurs fois – qu’on me pardonne : pendant une génération (c’est long !) la classe parlante (culture, presse, université) a refusé qu’on aborde sérieusement les problèmes liés aux immigrations, sous prétexte de racisme. Il fallait lutter contre la « rétractation identitaire », « les peurs » ; lutter contre ces gens de la campagne profonde, « votant FN alors qu’ils n’y a pas d’immigrés chez eux » (comme s’ils étaient incapables de penser...).

C’est un sujet culturel ! Et là, je veux insister à nouveau – et lourdement - sur la responsabilité énorme de la classe parlante d’avoir, pendant une génération, fait des problèmes liés aux immigrations, un sujet tabou. En parler faisait de vous un dangereux lepeniste. Nous paierons longtemps pour ce retard.

Le ton a changé récemment ; lorsqu’on a parlé soudain des « réfugiés », il y a quelques mois. On peut dorénavant poser des questions, réfléchir en public, proposer des choix : ça coûte combien ? Logements ? Santé publique ? Écoles ? Qu’exiger d’eux ? Combien en recueillir ? Et voilà qu’il occupe en ce moment quotidiennement les pages locales des journaux (Où les loger ? Comment entretenir le local ? Paiement des assurances etc.) !

Et puis soudain, l’Histoire nous réveille ! Et qui je vois apparaître dans l’écran ? La France. La « nation », mot obsolète jusqu’à l’autre jour. Et voici le peuple ! Dis, tu l’as vu, le peuple, le ringard ? As-tu vu la dignité, la retenue, le respect d’autrui de tous ces gens, par millions, dans les rues, les associations, les lieux publics ?  

Chacun pense, chacun ressent que la seule réaction possible est l’expression du « on », le « nous autres », la France, son histoire et sa culture et ses lois, bref, la nation. Et là, on sent que l’intelligentsia hésite, le moteur broute, le machine à bla-bla piétine.

L’intelligentsia ? Elle en avait très marre de la France, cette matrone acariâtre, cette horloge archaïque, Et voilà que du monde entier un cri unanime : Vive la France ! nous ramène bon gré mal gré à notre histoire. A l’Histoire. Soudain l’Histoire nous met une bombe dans la gueule.  Reste à attendre. Pas ce que va dire le peuple, non. Lui, son silence est une marée : on assume. Mais les classes parlantes. Ce que vont dire les classes parlantes. Moi qui m’éloignais chaque jour davantage de ces groupes, leurs journaux, leurs tics de langage, leurs tabous, voilà que je me mets à les observer, ironique et méfiant. Comment vont-ils assumer ce changement ? Maintenant que le monde a réveillé la France, que l’étranger compte sur nous, sur on, comment la bourgentsia (ou : intelligeoisie) va-t-elle faire évoluer son discours ?

L’unité nationale ? Elle se fait avec tout le monde ! Le monde parlant va-t-il revenir vers le peuple, c’est la question. Pas besoin de lire Bourdieu pour comprendre que la distinction, c’est se distinguer de. D’où le thème du méchant français ringard, on avait compris. Puis la haine de nous, de on, puisqu’il faut aller vers le large, être contemporain ! Le problème c’est que la Marseillaise est venue de pays beaucoup plus « identitaires » que nous ! D’où une contradiction... Eh bien, comment ils vont faire pour récupérer la parole et la distinction m’intéresse.


(Attention, vieux, tu prétends t’exprimer et tu n’as pas employé les mots obligatoires : rabougrie (France), repli sur soi, frilosité !)

Allons, marchons ! Malgré les événements, on peut continuer l’humour. Ce n’est pas rien, à mon âge, de découvrir enfin le sens de l’expression populaire fais daeche ! Et puis, enfin, pour parler comme les anglouilles, on va pas en faire un beurre mou !




Jacques Bertin