n° 197
janvier 2016

197

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Interdit, je suis...


Interdit, je suis. Ca ne sort pas. Les mots, ça ne sort pas. Interdit...

La raison ? Jamais on n’a connu ça, en France, depuis la guerre d’Algérie : l’Histoire, avec ses grosses mains, qui, d’un geste, renverse tout, sur la table.

Moi, vais-je choisir le début de l’an, quand tout le monde saute sur place en poussant des petits cris, quand tout le monde parle de joie et d’optimisme, vais-je choisir ce moment pour dire ici ma hantise, mon désarroi, mon pessimisme ? « La France a peur », disait l’autre, naguère ; eh bien, non, la France ne semble pas avoir peur ; mais la France se demande si elle existe encore et si elle va durer et ce qui va se passer et quelle société va naître. « Ne pas lâcher ! », disent les amis. Et moi, oui, j’ai peur.

J’avais peur, ces dernières années. Peur des abandons des idéaux républicains par les classes supérieures : n’en reste que ceux de l’économie et finance... Et peur des conséquences, que je voyais arriver. Je voyais l’intelligentsia, qui n’en finissait pas de nier la France et ringardiser le peuple français. Je voyais que l’immigration massive était un sujet tabou. Je craignais les effets du remplacement de l’assimilation républicaine par « l’intégration » ; puis j’ai vu s’installer le communautarisme – des « communautés », toutes respectables, évidemment, sauf la française, forcément coupable... Et attention, la française devrait être respectueuse des autres, étant l’accueillante. J’appréhendais qu’un jour les « communautés » s’affrontent avec violence, d’un « ghetto », d’une « enclave » à l’autre. Je voyais un nouveau prolétariat sous-éduqué se multiplier. La classe médiatique avait interdit de parler de tout ça – sujet nauséabond... J’étais effaré, depuis des années, par le conformisme trouillard des intello-médiatiques. Je voyais l’éducation nationale s’effondrer. Je voyais l’industrie « culturelle » abrutir la jeunesse. Je notais les centaines d’attaques de pompiers dans les « quartiers ». Mais aux inquiétudes de l’époque, le haut du pavé ne trouvait à répondre que par, depuis trente ans, la « lutte contre le fascisme » !

L’année 2015 m’a hurlé aux oreilles que j’avais raison d’avoir peur. L’année 2015 : tandis que le on national en est à se disloquer sous les exigences de la mondialisation, celles de l’Europe, et jouer au puzzle dans ces nouvelles Régions aux formes si rigolotes, l’année 2015, le navire, prenant eau de toutes parts et fièrement conduit par ses élites vers le rien, a été attaqué par des pirates ! Alors, maintenant, j’ai peur. Mais vraiment peur.

Je disais aux cultureux : se « rebeller » contre une société en décomposition et vide d’idéaux - à part l’argent et le paraître - quel sens cela a-t-il ? La déconstruction a gagné, les gars, il est grand temps de reconstruire. Je disais aux artistes que le temps était passé de la fausse rébellion, la « remise en question de nos conformismes ». Vous avez ridiculisé monsieur Prudhomme et Anatole France, puis Dupont-Lajoie et les ringards. Bon, il faudrait reconstruire. En êtes-vous capables ? Non, l’individualisme n’est pas un projet ! L’égotisme artistique et l’irresponsabilité rebelle ne créent pas un projet ! Et sous la pluie obsédante de la bien-pensance, il n’y a qu’une seule rébellion honorable : fonder une société.

Une seule rébellion : contre le pouvoir du médiatisme et l’industrialisation de la culture et donc le façonnage de la parole ! Et celle-là, amis révoltés, je l’attends encore !

Et enfin, et bien sûr, et pardonnez-moi d’y revenir, cette question que je ne me posais jamais : je suis Français, mais c’est quoi ? Maintenant que la question nous est lancée dans la gueule, il faut répondre. C’est quoi, « Français » ? A priori, je n’en sais rien, je n’avais, hier encore, aucune théorie sur ça, je n’ai jamais pensé qu’il me faudrait un jour en avoir une ! L’Histoire nous avait quittés, en 1962. Fin de la guerre d’Algérie... Il y avait eu, en 1968, une petite mascarade singeant une révolution, mais rien de grave...

Puis on avait à n’avoir comme culture que la culture à venir ! Comme passé, que celui des autres nations, le nôtre étant à détester. La culpabilisation (colonialisme, impérialisme etc.)...

La France, un mythe ? Bon, d’accord, mais en face ? Wall-street ? Mourir pour Wall street ? Et, de même : mourir pour la contemporanéité ?

L’événement de l’année, le voilà : c’est le retour de la question de la France. Et même les plus farouches antinationalistes sont obligés de se poser la question : qu’est-ce que « on » ? Car si pas de « on », il n’y a que des « communautés », les classes du haut jouant à la finance et la réussite individuelle : fini la république et fini la paix sociale. Il vous faudra des maisons « sécurisées » avec des vigiles et la liberté de port d’armes ; les classes du bas priées de s’écraser, dans tous les sens du terme ; une nouvelle classe sous-inférieure, millions d’immigrés et leurs enfants jamais intégrés. ...Des pompiers attaqués, par centaines, ce qui en dit long sur le niveau culturel des caillasseurs, le foutoir dans les écoles et caetera, donc un nouveau lumpen, prêt à servir...

Tout cela, au moment où les politiques,, totalement pervertis par le médiatisme, ont perdu toute crédibilité. Tandis que le Président et le Premier ministre, avec le Ministre de l’Intérieur, étaient en déplacement pour rendre hommage à ma belle-soeur qui étaient tombée dans l’escalier, une bande de terroristes a attaqué la France. Aussitôt, le Président, le Premier et le Ministre se sont déplacés pour... Bref, n’en disons pas plus.

Interdit, je suis, d’avoir rencontré l’Histoire au coin de la rue, avec sa gueule torve et ses grosses mains stupides. Est-ce qu’on va continuer la diminution de l’Etat ? Ou est-ce qu’on va laisser à l’initiative privée la tâche de répondre ?

Et voilà que tout ce que nous avons trouvé normal pendant ces décennies, ce que nous avions espéré pour nos enfants s’effondre sur un souffle de la bête et que tout recommence. Bonjour, dit la bête, je suis un éternel recommencement, ayez peur ! 

La France a peur. Pas des bombes ! De l’absence de on. Suis-je le seul ?

Ah, je sais bien, vous allez encore me trouver pessimiste : - Tu sais que quand les gens pensent que l’Histoire est tragique, ils consomment moins, et c’est mauvais pour la croissance ; va plutôt faire ta gymnastique quotidienne ; tu m’inquiètes, avec tes kiloentros, là...


Jacques Bertin