n° 106
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La farce tranquille Les casseurs à l'EHESS ! Extravagante nouvelle : l'occupation de l'Ecole des hautes études en sciences sociales par des voyous, pendant les manifestations anti-CPE. Déprédations, vols, tags, etc. Pour nous, du peuple, qui avons déjà connu les squatters et les dealers dans la cour de notre immeuble, et qui nous sommes heurtés à l'incrédulité des sociologues autant qu'à l'inappétence policière, cette information a été l'occasion d'un bel éclat de rire. On prétend que la police a fait exprès de ne pas intervenir immédiatement. Je ne serais pas étonné, en effet, que, dans les Sphères, des responsables aient pris cette décision. Vous imaginez les journaux du lendemain : l'éternelle brutalité des flics, toutes les photos, l'insulte faite au sanctuaire du savoir… Et pourquoi pas un Malek Oussekine ? Prudemment, les bleus se sont abstenus. Et peut-être aussi pour faire sentir aux chercheurs ce qu'est l'insécurité-qui-n'existe-pas. "Des vandales chez les savants", a titré le Monde, qui n'en revenait pas. Oui, il y a des méchants ! Et ils ont osé ramener les "savants" à leur statut d'homme. Ceux-ci ont d'ailleurs mis tout de suite une sourdine. Pas désireux de se faire, à leur tour, traiter de populistes ou de petits blancs… L'affreuse injustice leur aura permis, on le souhaite, de constater l'état de la société. Parlons clairement : il y a un problème de sécurité dans notre pays. Et la police n'intervient pas. Nous le savions. Bienvenue au club.
Eh bien, jouons à ce jeu. Qu'est-ce que j'ai aimé, moi, dans le temps, dans ma jeunesse, dans ma trajectoire ? Lui : les romans ; moi : l'Histoire. Lui : Johnny et le rock. Moi : la chanson d'auteur. …Lui : Sade. Moi : Pierre Dac et Francis Blanche. Bergmann, lui ; moi : Ford. Sa poésie fut la beat ; moi : Reverdy, Jammes, Cadou… Lui les anti-héros, moi les héros. Lui : Pierre Goldmann ; moi : le petit gars de la JOC devenu maire de son bourg. Lui, le dégoût de soi, les morbides, les provocateurs. Moi, les constructeurs, les militants. Lui : les lieux où il se passe quelque chose. Moi, les travailleurs. Moi : le silence. Lui : l'habitude de causer dans le poste, de m'englober dans le nous, de croire qu'il est toute la société. Je ne lui interdis pas, évidemment, d'avoir ces goûts-là ! Je m'insurge contre la généralisation habituelle, si tranquille, si France-Culture, par laquelle les parleurs s'approprient toute une population. Cela fait, par exemple, et entres autres, que la société catholique de l'après-guerre est totalement devenue un sujet tabou. Qu'un observateur pourrait croire qu'à 18 ans, tous, nous fumions des joints à la porte des boîtes de nuit… Ohé, "les savants", les chercheurs, au secours ! Bref, parlons simple, ce type est un con. On les aime pas, les cons.
Dans la culture aussi, ils ont installé la régression. La confusion entre culture et artistes, entre culture et création, entre culture et entertainment, entre show biz et culture. La confusion entre mission publique et narcissisme. L'argent. La carrière. Et l'absence d'idéal érigée en valeur. Et voilà toute une caste qui, à l'approche de la retraite, se crispe et s'énerve, cherchant à échapper à l'obligation de rendre des comptes. Le peuple gronde ? Le peuple ne croit plus à ses élites ? Oh, mais on va le coincer là où il ne peut répondre : la parole publique. On va l'empêcher de nommer les problèmes. On sait le faire ! On l'a fait depuis vingt ans pour l'immigration et la sécurité ! On va donc le noyer sous des querelles, concepts, chiffres et projets décalés. Tel fut le débat sur le mariage des homosexuels, par exemple (il a tout de même permis de ramener les Verts à 2% des voix !). Puis le racisme. Et voici le "déclin". Ils débattent ces jours-ci entre eux d'une 6ème République. Leurs héritiers seront choisis pour leur docilité. Déjà, on voit dans les journaux des nuées de pigistes éperdus, bien obligés, s'ils veulent se faire engager, d'épouser les valeurs des chefs ! Et la masse des intermittents offre un vivier aux patrons de la culture : le plus conforme, le plus docile, le plus complaisant aura une chance ! Qui veut hériter ? Qui veut concourir ?
A un certain stade du débat, ayant lu les uns et les autres (Domecq, Heinich, Dagen, Clair, Art-press etc.), je crois que le meilleur moyen de lutte n'est pas l'argumentation, mais le sarcasme. Je vais m'y essayer aujourd'hui à propos de monsieur Jean-Pierre Raynaud, artiste, l'homme du pot de fleurs, qui, dans le Figaro (25 avril) commente une exposition qu'il présente à Nice, dans un lieu subventionné. Tout est dans le commentaire ; en ce sens, Raynaud me semble être un bon représentant de la génération citée plus haut. Le gigantisme du propos accompagne la petitesse de l'œuvre. Apprenez donc qu'il "se met en danger". Allons, si c'est avec mon argent, le risque doit être mesuré... Comment ça, mesuré ? "Je manie de la poudre." affirme-t-il. Et aussi : "Je suis à l'aise avec la violence des concepts". La violence des concepts fait moins mal qu'un clou dans la fesse droite aurait pu dire Pierre Dac. Ça continue comme ça pendant une demi-page. L'article se
termine sur une bête annonce : Raynaud est papa depuis trois ans.
Enfin une bonne nouvelle. La mère et l'enfant se portent bien.
Tu nous emmerdes, Raynaud. (Attention : la phrase précédente
est une performance artistique. A ce titre, elle est protégée
par le droit d'auteur. Oser l'attaquer serait montrer son mépris
de l'art d'aujourd'hui et tenter une censure.)
Jacques Bertin |