n° 107
juin 2006

 

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Divers émerveillements

 

 

La Sacem. A l'occasion des élections à son Conseil d'administration, je tiens, une fois encore, à féliciter la Société des auteurs, compositeurs et éditeurs de musique pour la constance tranquille avec laquelle elle organise la euh démocratie, je ne sais si le mot convient.

Lisez cet encadré, en page 1 du bulletin électoral : "Il est interdit aux candidats d'établir ou de faire établir tout document en rapport direct ou indirect avec leur candidature, de le distribuer, de le faire distribuer par quelque moyen que ce soit ou de le déposer dans la salle de l'Assemblée générale, la société ayant seule qualité pour assurer (l'envoi ou la remise lors de l'AG aux sociétaires) d'une notice de présentation de chaque candidat, imprimée par elle et rédigée dans les conditions fixées par le CA." (art. 107 du règlement général).

Voici ces conditions, et cette notice. Soit un candidat, Untel. Il est sociétaire depuis telle date ; il fut vice-président de telle à telle année. Suivent la liste de ses décorations ; puis les titres de quelques-uns de ses succès : Ay ! cherida ; Mambo des castagnettes ; Je t'aime ; Chouka chouka

Et c'est tout. Aucune opinion, aucun désaccord, aucune revendication, aucune idée.

Un règlement et une pratique si tranquillement contraires à la démocratie, affirmés année après année, décennie après décennie, avec tant de bonne foi ne peuvent que déchaîner notre admiration. Quelqu'un qui a écrit Chouka chouka n'est-il pas digne, par ce seul fait, d'entrer au CA d'une grande société internationale du show business ?

Comprenez bien : toute discussion pourrait faire naître un désordre ! Celui-ci serait fatalement contraire à nos intérêts ! Et le CA en place sait, lui, ce qu'il faut faire, et qui il faut coopter ! D'où ce système, à la fois vichyste (au sens du corporatisme vertical) et stalinien (au sens du centralisme démocratique), et qui fleure bon le XIXème siècle, enfin, puisque, détail, seuls les électeurs riches peuvent être éligibles. Voilà pourquoi, quoique membre, je ne vote jamais. D'abord, je ne suis pas éligible, et cela choque le citoyen français qui sommeille en moi... Ensuite, parce que l'article 107 et celui que je signe ici entraîneraient aussitôt l'invalidation de mon élection !

Je continuerai cette chronique en épinglant quelques phrases issues du médiacosme, et qui témoignent de son idéologie commune. Et amusante.

La première de ces phrases est la définition même du politiquement correct. J'allume mon récepteur ; et j'entends, dans la bouche du présentateur d'une émission connue : "…dans notre France raciste…". Ah bon. L'affaire étant déjà jugée, je coupe. Je suis un sanguin.

Je dois confesser qu'à mes yeux, la France est probablement, avec la Belgique et peut-être le Balianisthan-extérieur, un des pays les moins racistes du monde. Lorsque j'étais enfant, la maison d'à côté, c'étaient des Italiens. Deux maisons plus loin, des Espagnols. Les deux chefs de famille avaient participé avec mon père à un groupe de castors. Avant ça, mes parents avaient pendant plusieurs mois hébergé un Polonais en vadrouille. Quant à moi, j'ai employé durablement dans des orchestres qu'à des époques j'ai eu l'honneur de constituer, deux Allemands, deux Chiliens, un Argentin, sur un total amical d'une dizaine environ. Et par discrétion je ne décrirai pas ici la nouvelle vague de mariages inter-ethniques dans ma famille proche.

Soudain, je lis ceci, dans un journal : "Une fois, j'ai été fier d'être Français : j'ai aimé la France black-blanc-beur du jour de la coupe du monde…". C'est vouloir me faire oublier qu'elle l'est depuis cinquante ans. Et l'avant-centre de l'équipe du Stade rennais, dans les années 50, dont le nom était Mahi ! Un autre joueur du même club, qui jouait en position de "demi" était très bronzé aussi ; mais j'ai oublié son nom. Deux sur onze, est-ce assez bbb ? Et est-ce que la cousine Rose, morte d'épuisement au Cameroun à force de porter de la pénicilline aux blacks peut faire partie de la France bbb ?

L'évocation de mon enfance et la proximité de la fameuse coup du Monde (qui m'indiffère absolument - suis-je normal ?) sont l'occasion de rappeler ici que nos curés, jadis, n'aimaient guère l'abrutissement par le sport professionnel, lui préférant l'émancipation par le sport amateur. Ils avaient raison. Aujourd'hui, le fric a gagné et, pour l'enseignement, la télé a remplacé très avantageusement l'Eglise, si aliénante. Vive le sport ; à bas la République.

Continuons la lecture. Dans Marianne : "La crise de l'art contemporain, dans les années 90…". Comme si la crise était terminée, comme si les opposants à l'escroquerie dominante s'étaient dépensés pour rien… On se carre dans son fauteuil ; on attend sans rien céder ; les contestataires se lasseront. S'ils vivaient aujourd'hui, les Impressionnistes et les Poètes maudits n'auraient aucune chance !

Heureusement pour le peuple, le médiacosme est un formidable dispensateur de drôleries mirobolantes. En voici une autre. Peter Handke étant allé à l'enterrement de Milosevic, fallait-il le retirer de l'affiche de la Comédie Française ? Propos d'un médiatique, sur France-Culture, la main sur sa bonne foi : "Qu'est-ce qui se passerait si un auteur allait se recueillir sur la tombe de Le Pen ? Est-ce qu'on pourrait le jouer ?" Ceci dit sur le ton de : non, bien sûr, n'est-ce pas ?

Ma réponse est que ça ne se discute même pas : oui, on pourrait le jouer ! Vu que nous sommes en République, que Le Pen est le chef d'un parti légal, et qu'on a le droit d'être d'un avis contraire au mien tout en gardant sa dignité d'homme, car je ne suis pas propriétaire de la vérité !

Mais oh, ce ton, cette façon d'estimer la question réglée dans son énoncé-même, cette arrogance naïve…

J'ai vu aussi que naissait une campagne pour la protection légale du secret des sources des journalistes. Eh bien, il y a tout à craindre de l'instauration d'une caste de "professionnels" qui pourraient décider, sans contrôle, sauf la fameuse "audience", de ce qu'on peut dire et taire, cacher et livrer. Des gens comme nous, faillibles comme nous, mais qui n'auraient pas à rendre compte à la justice. On ouvrirait ainsi la porte au tripatouillage légal, aux manipulations des groupes, des castes. Une sorte de salazarisme…

Vous me direz que nous n'en sommes pas loin et que le médiatisme, c'est déjà ça ? Oui, en effet.


 

Jacques Bertin