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Un tour à la campagne
Je parlais récemment avec une militante socialiste qui tente de travailler dans l’entourage de madame Royal sur le thème de la culture. J’en vins assez vite à lui dire que, l’époque étant ce qu’elle est, et le monde culturel (privatisation à outrance, superficialité, carriérisme, indifférence aux idéaux), Ségolène, avec la meilleure volonté, ne pourrait rien trouver à promouvoir. Sauf, évidemment la «défense de la création», comme tout le monde... Eh bien, ça n’a pas manqué ! C’est sans surprise que j’ai découvert, dans les «100 propositions» de la candidate, une unique référence à la culture, la proposition numéro 34 : «Soutenir la création et l’emploi culturels». Pourquoi n’a-t-elle pas annoncé à la proposition 34 : «Je suis très sympathique» ? On ne sait pas. Pourquoi pas une profession de foi en faveur de l’état des routes ? On ne sait pas. Mais cessons de nous moquer. Cette phrase 34 mérite d’être commentée, car elle exprime des choses. D’abord, elle en dit moins long sur Ségolène que sur le socialisme français. Par sa brièveté et son isolement, la proposition 34 appelle au secours, elle hurle que la gauche n’a rien à dire. La gauche croit que la culture se résume à la «création et l’emploi»… Ensuite, cette proposition est un signal à la tribu des récipiendaires. Signal codé : ne craignez rien, vous aurez l’argent. Enfin, elle proclame qu’il n’y a plus de militants culturels. De ceux qui arrachaient la culture aux professionnels et la tiraient vers la fondation d’un humanisme moderne. Fini. Tous morts. La proposition 34 sera la dernière… Je me souviens des velléités de Catherine Trautmann pour faire sérieusement son travail de ministre de la Culture (notamment par la Charte des scènes publiques). Velléités vite réduites par le lobby du théâtre subventionné… Lui succédant, Catherine Tasca choisit de tenter de se réconcilier avec cette bande bruyante et médiatique. Elle croyait, pour la présidentielle qui suivait, amener des pétitionnaires à Jospin. Ce plan basé sur l’inaction et la pommade échoua. Madame Royal l’a-t-elle repris à son compte ? Ne rien proposer, pour ne pas effrayer… Ou bien, n’est-ce pas plutôt que le monde culturel, réduit à un «métier», est devenu le lieu du rien, et qu’elle l’a compris ? Et qu’elle l’accepte… Moment historique ! On doit ici noter que les autres candidats à l’élection ne disent rien non plus sur la culture. Il n’y a plus de militants, je viens de l’écrire, il n’y a plus que des professionnels cherchant la subvention. Au peuple, on préfère le public, ou plutôt les publics. A la lutte pour la démocratie culturelle, on préfère un bon plan médias. Il n’y a plus de cultureux de gauche, il n’y a que des partisans résolus de la modernité. L’humanisme est un idéal repoussé au lendemain du jour où les remises en question et autres radicalités intenses auront vaincu. La lutte pour les valeurs de l’esprit se réduit à débarrasser le pays des ringards. Bon. Mais cette exaltante entreprise peut-elle faire naître l’adhésion des électeurs ? Le silence des candidats proclame que la culture est installée, et pour longtemps, les pieds dans la guimauve et la tête dans le stuc. Quant à l’humanisme, les valeurs de l’esprit, l’émancipation individuelle et collective, dans notre époque de massacres, de régression, d’absence de sens et d’absence de foi, ces thèmes devraient nous mobiliser tous derrière des bannières ! Socialistes, gaullistes, démocrates-chrétiennes, est-ce que je sais. Il me semble qu’il y a urgence. Eh bien non. Rien. Le réchauffement climatique, oui ; l’attiédissement des esprits, non. Pendant ce temps, Jack Lang visite Alger pour y parler des crimes de la colonisation avec le Président Bouteflika et lui porter un message de Ségolène Royal. C’est encore de la culture (avec Jack Lang, tout est culturel, n’est-ce pas…) Dans ce message, la candidate estime «fondamental», nous dit-on, que la France et l’Algérie élaborent «ensemble une restitution de l’histoire qui…» Chacun comprend : demain il y aura une histoire officielle. (Je saisis l’occasion, en tant que Vendéen descendant des massacrés par la République – cent à deux cent mille, selon les historiens –, pour exiger les excuses officielles de l’Etat pour ce génocide. Et je rêve du jour où je verrai Jack Lang pérégriner dans les Mauges, brandissant une lettre d’excuse et un manuel nouveau d’histoire «restituée».)
Pinoncelli, enfin. Ce type rôde depuis des décennies dans les couloirs de la gloire en cherchant l’occasion de se faire un nom. Il y a quelques années, il trouva l’idée, plutôt marrante, de cogner avec un marteau sur la pissotière de Marcel Duchamp. Faisant cela, il mettait en évidence les contradictions et toute l’hypocrisie de l’art «contemporain». Très bien. Mais ce manque de respect à l’icône du manque de respect devait être puni ! Les prêtres se précipitèrent au Palais de justice, en chantant des cantiques. Les questions idiotes s’amoncellent. Pinoncelli ayant modifié
la non-œuvre de Duchamp, en est-il désormais le co-auteur ?
Ou bien est-il, comme nous tous, un criminel dont l’irrespect montre qu’il
n’a rien compris à l’art contemporain qui est sacré ?
On a trouvé – la République est bonne fille et mon argent
de contribuable ne me coûte rien – on a trouvé des magistrats
pour braver le ridicule et s’interroger gravement. A mon avis, un non-lieu
aurait convenu, pour l’Histoire, et une tape sur la fesse aux plaignants
et au coupable. Mais le sens de l’humour n’est pas plus dans l’esprit
des lois que dans l’art contemporain. Pas de non-lieu. Le tribunal a tout
de même opté pour une relative clémence et le vieil
exhibitionniste ne remboursera que les frais de «restauration».
Car la pissotière sera restaurée ! Sans blague. Je
suis navré que mon argent serve à une opération aussi
stupide et aussi éloignée de l’idée de culture. Car
cet acte de respect est purement et simplement un acte religieux. Mieux
que ça : magique. Après tant de «libération»
contemporanéiste, c’est bouffon. Mais on est décadent, preuve
qu’on n’est pas ringard... Jacques Bertin |