n° 115
mars 2007

 

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L’Education populaire, peut-être ?

 

 
Ainsi que chacun le constate, à part des banalités visant à flatter les artistes, aucun candidat à la présidentielle n’a présenté un projet culturel. On n’entend que les soupirs des intérêts catégoriels, on ne voit que des individualités spectaculaires rôdant dans l’espoir d’un peu de présence médiatique. Les mots employés sont des scies : la jeunesse, la création, les artistes, les jeunes créateurs artistiques…

Il semble évident que personne ne croit plus à l’importance de la culture – son rôle émancipateur - pour l’état général de notre société. Elle n’est plus une cause ou un idéal mais juste une façon de passer des chouettes moments (en participant au développement économique…).

Il y a aussi qu’on ne croit plus au peuple (le français, vu que nos médias sont pleins d’hymnes aux peuples, aux racines, aux traditions ancestrales du monde entier…) Le peuple ? J’ai lu ces jours-ci un article dans lequel un homme de gauche affirmait que ce concept était en réalité un fantasme, jamais trouvé, jamais prouvé. Et qu’ainsi, faire référence au peuple était du populisme. Pour ne pas risquer de me faire taper sur les doigts, j’ai donc décidé de ne plus désormais croire qu’en des concepts sérieux : nous ne sommes que des consommateurs (des «agents économiques»), suivant les conseils (les notices, pourquoi pas ?) édictés par les élites (ce concept est très usité, lui, actuellement, par les mêmes, en ce sens que si critiquer les élites est populiste, les approuver est raisonnable).

Cessons de persifler. A mon avis, le refus de croire en la culture est le refus de croire dans le peuple, et dans la société. Et donc dans l’Homme. Ce qui manque c’est l’idée qu’ «on» va «y» arriver : à faire quelque chose, tous ensemble, fonder une ville, un pays, se libérer… L’Homme n’est plus qu’un projet individuel, narcissique et hédoniste, pour samedi soir. Quel intérêt peut-il y avoir à se libérer, hein ?

On «défend la création». Elle serait sans cesse menacée par de méchants réactionnaires-archaiques-bourgeois. C’est faux, évidemment. Les bourgeois d’aujourd’hui sont pour la création, voyons ! Et même pour l’avant-garde, et la radicalité. La rébellion a son rond de serviette au Ministère.

Oh, de vrais ennemis de la culture, il y en a. C’est monsieur Le Lay. Et ce sont les élites, qui veulent laisser pourrir notre langue. Et c’est le show business national. C’est la culture américaine. Et c’est le médiatisme. Mais personne ne s’en offusque.

Comment lutter contre la déséducation, la déculturation venue d’en haut par le médiatisme. Je cherche d’où pourrait surgir la révolte. Je ne crois ni aux partis politiques, ni aux syndicats, ni aux journaux, ni à l’édition, ni aux intellectuels, ni aux artistes, ni aux politiques. Qui osera parler à nouveau, parler fort, de l’émancipation, de l’avancée collective, de la foi dans les autres, de nos racines qui nous poussent vers le haut, qui osera les mots aujourd’hui obscènes : l’Homme, le peuple, la foi, la révolte…

Ici, j’ai envie de citer l’Education populaire. Elle a été une des grandes réussites de la République, avec l’Education. On peut imaginer que ce mouvement, au moins, dernier espoir peut-être, est tout entier mobilisé dans la lutte contre la nouvelle barbarie. Or il n’est pas audible, c’est très surprenant. Oh, l’Education populaire a ses journaux, à forts tirages ; la presse de province en parle quotidiennement dans ses pages locales à la rubrique «loisirs». Elle a des millions d’adhérents (de clients plutôt ; et c’est peut-être là le problème…). Mais on ne l’entend pas.

C’est peut-être qu’elle ne dit rien ? Trop reconnue, peut-être ? Si peu dérangeante ! Une mécanique parfaitement huilée. Nos activités, nos emplois du temps, nos rendez-vous officiels, nos bilans et perspectives. La discussion avec «les tutelles» sur nos subventions. Nos positionnements au ministère et à la Région : ici les communistes, ici les proches du PS, les cathos, etc.

Donc, voici le nouvel ordre social : le médiatisme, cette nouvelle façon de gouverner les masses, qui unit parfaitement les technologies nouvelles, les foucades artistiques novatrices, les intérêts du capital, la morbidité lasse de l’idéologie dominante, et l’ordre bourgeois. Le médiatisme n’est pas seulement une façon pervertie, dégradée de transmettre la culture, c’est un monde dominant, c’est la nouvelle vision du réel, c’est le nouveau réel. L’usage de la parole, le choix des parleurs, les problématiques, jusqu’à la forme et la vitesse de l’élocution, la morale qu’on y prèche, le choix des œuvres et des causes (quelques causes humanitaires ou médicales au milieu d’un océan de cynisme), le tri entre les bons et les méchants, la sensiblerie pleurnicharde, tout y est préfabriqué, pré-délimité, injonctif, réducteur, aliénant.

Nous, en face, en bas, nous n’osons même plus dire, nous sommes interdits. Notre humanisme est comme un fantasme ridicule. Que faire ? Rompre individuellement, bien sûr. Beaucoup le font. C’est une question de santé mentale, désormais. Cesser de consommer leurs œuvres, leurs émissions, leurs débats. Se raccrocher à l’universel, à l’éternel, le chercher ailleurs, au maquis. Ne plus écouter le médiacosme, tourner le bouton. Mais on ne peut concevoir une société vivante qui ne soit constituée que d’ermites occupés à se sauver seuls ! Il nous faut nous regrouper.

Il nous faut recommencer à parler de l’Homme, à tort et à travers. Nous voulons un peuple éduqué luttant pour la démocratie culturelle. (Et qu’on ne me parle pas de «démocratisation culturelle», cette manière de m’imposer les paroles venues d’en haut ou d’origine industrielle !)

J’ai 60 ans, et j’ai besoin de croire en la vie, l’amour, la révolte, l’harmonie, l’Homme, la société. Je n’ai aucune foi dans le langage dominant. Je cherche des alliés. Pour survivre.

Je compte sur l’Education populaire. Je ne suis pas le seul. Dans une tribune du Monde, le 23 mars, monsieur Philippe Meirieu pose la question de ce que je nomme le médiatisme. Il suggère, comme moyen de s’y opposer «une relance de l’éducation populaire». Oui, si cette relance ne s’englue pas dans une «politique», mais si elle est une rupture, une insurrection, et qu’elle fonctionne par la vertu seule de l’idéalisme.

Je compte sur l’Education populaire pour cette nouvelle insurrection. Ai-je raison ? Je ne vois nulle part aucun autre espace laïc ou une telle lutte pourrait être relancée. Mais il faut un nouvel esprit de révolte.

Jacques Bertin