n° 117
juin 2007

 

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A propos d'un certain espoir

 

 
Saluons madame Albanel, nouvelle ministre de la Culture. Notre respect, madame. Mais vous m'autoriserez à sourire, en constatant que le travail d'un ministre de la Culture, aujourd'hui, consiste principalement à ne rien faire qui lui mette à dos les cultureux. Ce fut le choix de votre talentueux prédécesseur immédiat, monsieur Donnedieu de Vabres - et ça lui a réussi. Catherine Tasca, naguère l'avait tenté, mais ça avait échoué : au moment de signer les pétitions pour Jospin-président, les cultureux s'étaient dérobés, trouvant l'herbe aussi verte en face. Les cultureux n'ont plus d'idéal, n'ayant que des situations à bâtir ou à préserver, ils ne sont plus que des forces de nuisance électorales, qu'il faut au ministre savoir anesthésier. Bonne chance, madame.

Votre ministère, entend-on dire partout, est en déshérence, en manque de sens, en vacuité… C'est surprenant, si l'on considère la quantité des colloques, conciliabules, articles, congrès et débats ; et les médias, les intellectuels, les artistes, par groupes, par masses, par fédérations, penchés en permanence sur ses entrailles. La réponse à cette énigme est sans doute que dans notre pays, on a cessé de croire dans l'émancipation par la culture, et que "les arts", ou "la Création", ne sont plus qu'une façon pour des individualités de s'exprimer, c'est-à-dire de privatiser l'action publique au nom de la dévotion que la société doit au génie.

Tenez, je viens de lire que la mission de tel organisme culturel nouvellement créé quelque part était de "mieux servir le désir des artistes". Devant cet nouvelle obligation sacrée, l'indifférence des citoyens s'accroît : ça coûte cher, c'est irresponsable, ça nous ennuie, et c'est inutile. D'autant plus que les artistes, en retour, se font un devoir, ils ont lu ça dans les livres, au XXème siècle, de ne croire en rien et de ne pas dire merci.

Il faudrait une réaction. Une réaction en avant, oserai-je dire. Une réaction en faveur de la culture qui est un outil pour la société et à la fois pour chacun dans la société. Pour monter ; et non pas pour des fêtes festives et des excitations sans grandeur. Hélas, il n'existe plus en France de troupes croyant suffisamment au peuple, à la communauté des gens, à la nation, au besoin d'intelligence et de culture, au rôle de la culture dans la formation d'un peuple et sa marche en avant, à l'Homme. Il n'existe plus assez de troupes pour remplir une salle, une pétition, une espérance. Voilà pourquoi on n'échappera pas, bientôt, au Secrétariat aux Beaux Arts. En gros : ce ministère était justifié tant qu'il s'agissait de déplacer les montagnes ; mais s'il ne s'agit plus que de gérer les seaux et les pelles en plastique des enfants boudeurs dans le bac à sable, un bureau des Pelles et Seaux suffit.

Dans le précédent Policultures, on citait monsieur Sarkozy, et l'un de ses projets : "Faire entrer la culture et l'art dans les quartiers". Dans le temps, avant la découverte du ringardisme, ça s'appelait l'Education populaire. Il y avait des militants, de la foi. Mais comment ferez-vous, maintenant que la chaptalisation du peuple par le médiatisme est au travail dans les cuves ? Comment recréer un peuple, une espérance, une mystique, une union entre les artistes et le peuple, comment ? Où est la foi ? Où sont les militants ? Les artistes ? Ils sont à la pêche aux subventions. Immobiles. Ho, ça mord ?

J'en étais là de ma désespérance, lorsque j'ai avisé, qui m'accompagnait, depuis longtemps, une cohorte en marche ; et soudain je compris que l'espoir me faisait signe.

Serait-ce un début de réponse ? Je rencontre de plus en plus dans les petites salles polyvalentes, les paroissiales, les municipales, les perdues, bref, dans les endroits les plus éloignés du Centre-où-l'on-cause, dans les lieux sans "projet culturel", toute une nouvelle génération d'amateurs de culture. Les voici en quelques mots. Ils sont quinqua et sexagénaires. Ils ont rompu. Avec l'Institution culturelle, oui. Ils marchent à leur rythme, dans leurs sentiers. Ils se sont éclipsés subrepticement, et l'Institution n'a rien remarqué (ils continuent encore l'abonnement à Télérama, mais plus pour longtemps). Adieu, les médias, les recommandations, les bistrots, le parler fort, les modes, les attachées de presse, les commentateurs, les spécialistes. Une génération en rupture. Elle quitte la mode, les mots à la mode (alternatif, décalé, radical, provocateur, tout ce baratin) ce qu'il faut absolument avoir vu et lu et dont il faut pouvoir parler pour avoir le droit de survivre, et bien sûr, les arrivistes, les claniques, la modernité inéluctable… Elle recherche la parole vraie, grave, utile. Le discret, le positif, l'âme, la bonté, la candeur, la constance, le sacrifice, le désintéressé, le modeste, le difficile, le durable, l'utile, la fierté. Le silencieux. L'Homme.

Nombreux, éduqués (plus que les journalistes qu'ils écoutaient hier, plus que les Créateurs, plus que les "professionnels"…), possédant des moyens financiers, et constatant l'échec de vingt-cinq ans de culture officiellement médiatique et contreculturellement incontournable, ils tentent de retrouver ce qui est important, et qui les unit à leurs parents, qui pourrait les unir à leurs enfants. Ce qu'ils ont reçu de leurs parents et qu'ils vont transmettre à leurs enfants. Ils cherchent des sentiments élevés. La culture est un escalier qui monte. Ils en ont assez de ce petit con avec son air de vieux, qui descend vers les bas-fonds avec sa ligne de coke, et tout fier de ne croire en rien. Ils veulent qu'on leur parle du chemin qui monte ; et si on ne le fait pas, eh bien, ils monteront tout seuls ! Le rachitisme de l'Art contemporain, les clichés et les sophismes de la déconstruction les exaspèrent. Ils ne veulent plus que des ectoplasmes et des branleurs sous perfusion leur explique l'art. Ils ont lu les livres anciens, au XXème siècle, ça va.

Ils se font des réunions et des fêtes à eux, pas annoncées dans le journal, où ils se refilent avec ferveur des œuvres passées inaperçues depuis trente ans, depuis cent ans. Ils ne se laissent plus faire. Ils refusent de parler aux sondeurs. De répondre aux questions. Je les ai vus qui pleuraient en se cachant dans leurs mains, à Cyrano et au film sur les Lip.

Ils viennent de faire perdre la gauche. Ils étaient dans la montagne.

Ils sont mon espoir.

Jacques Bertin