n° 118
juillet 2007

 

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Ralentir : bravos

 

 
C'est l'été, hommes des champs, hommes des villes ! (et femmes, où avais-je la tête ? La parité va me manger !) C'est l'été et partout retentissent les cris de joie : Fêtes, Festivals et Festivités vont s'enchaîner jusqu'à l'automne, et ils (et elles, où avais-je la tête ?) font entrer de plain-pied la France dans…

…dans l'atroce période des fêtes, festivals et festivités, qui durera jusqu'à la saison froide. Petits pince-fesses de bourgades ou grands mastodontes prétentiards des métropoles, voici tout un tas d'excellentes occasions de s'emmerder ensemble en s'inondant de décibels ! Chacun sait que la sensation d'ennui décroît de façon inversement proportionnelle au bruit et au nombre. Cela explique sans doute pourquoi la société contemporaine multiplie ces "Evénements".

En ville, on opte pour le pointu-contemporain-rock, dans des "équipements" de plus en plus somptueux et grandiloquents ; à la campagne, on s'astreint à une gestion qui en donne "pour tous les goûts", comme dit le maire ; ah, ce n'est pas facile d'être un élu. (On voit ici que se conceptualise, dans les deux cas, une haute idée de la culture.)

Le maire : "Il nous faudrait une Fête à retentissement national, pour notre image". Est-ce qu'on n'a pas un produit local qui pourrait servir de prétexte ? Le Saint-Patron ? Non, ça ne se fait plus. C'est archaïque et pas assez métissé. A moins qu'il soit Celte… Cherchons autre chose. Une saucisse locale ? Une race de dindons ? Il est urgent de décloisonner notre ville, nous ouvrir sur le monde ! Déjà, on a un nouveau logo indiquant aussi que nous sommes résolument tournés vers l'avenir ; - ah tu me rassures ! Le maire songe à changer le nom de la ville, un peu vieilli tout de même. Au lieu de Trifouilly - très daté, et d'ailleurs mal reçu, d'après le rapport d'un Conseil en expertises récemment consulté -, la municipalité pourrait opter pour une solution audacieuse qui montrerait - avec un clin d'śil - que nous avons su nous dégager des anciennes pesanteurs : Espace-Trifouille, ou Fouilly-trip, ou encore Fouille-l'avenir, car il faut toujours penser aux investisseurs et à l'emploi. Ainsi annihilerons-nous les critiques qui pourraient porter sur : notre frilosité, notre archaïsme, notre ringardise, notre indifférence aux jeunes, à la parité, aux sans-papiers, aux homosexuels, à la diversité (c'est nouveau, je t'expliquerai), nos noms de rues à connotations coloniales, notre soutien avéré à l'esclavage, notre refus obstiné d'apprendre l'anglais, notre passé collabo (ce drapeau, là, sur la façade de la mairie, n'est-ce pas celui qui entraînait à l'assaut nos troupes massacreuses dans le monde entier ?) Sans compter l'église paroissiale qui a quand même à voir avec l'Inquisition.

Bref, une ville enfin d'aujourd'hui, ce qu'elle n'avait jamais été ! Et donc, voici des idées de Fêtes :

Fête du solstice, du demi solstice, du quart de solstice, de la Danse immobile, des musiciens non-entendant, de la rillette ("Rillette-story" ou, encore plus décalé : "Ryet-story"), de la modernité, de la modernité de demain, des opérés de la prostate, du slam à vélo dans une perspective écocitoyenne, de la pause au milieu de la période des Fêtes, Fête de la diversité (je t'expliquerai) (à quand une Fête de la diversité obligatoire, partout, le même jour ?), Fête des immigrés de la quatorzième génération, Fête des convives conviviaux et métissés, Young's-pride, avec peut-être la présence de Jack Lang…

Des Fêtes plus politiques, maintenant : Fête des victimes ("Tous victimes !" sera le thème fédérateur, avec un concert monstrueux : les gens y seront ainsi victimes du bruit : et les voisins, jusqu'à cinq kilomètres seront impliqués !) (voisins et voisines, j'oubliais…). Fête de toutes les inégalités, disparités, turpitudes, exclusions et dérèglements (en collaboration avec SOS-racisme et le Collectif pour la Défense des Jeunes Déçus par la Société - JDS). Les opérés de la prostate victimes de ricanements. Des percussions à tous les carrefours, pour bien proclamer notre attachement à une culture transculturelle et à la gaieté du bruit. Et que les ringards souffrent un peu, pour leur apprendre que la souffrance ça peut arriver à tout le monde.

Fête du souvenir. N'importe quel souvenir. Les souvenirs ne sont pas forcément tristes ! Comme vous êtes frileux ! Nous inciterons les gens à retrouver en priorité leurs souvenirs métissés (le premier souvenir de respect des homosexuels, le premier acte antiraciste et tourné vers l'avenir…) Un concours de petits faits vécus : mon premier mot d'anglais, mon premier acte radical ; comment j'ai sauvé un bébé homosexuel à la piscine… Se préoccupe-t-on vraiment de la diversité paritaire dans le sauvetage à la piscine ? Je ne crois pas.

Oui, c'est l'été ! Fêtes (du roller sans frontière, du piéton alternatif, des chienteux décalés) et Festivals (rock-bio, de la condition de la femme turpide) se succèdent pour la plus grande joie d'on ne sait pas qui. Tout ça est formidable. Dans ma ville, une erreur médiatique a fait qu'on a confondu le Vide-grenier et la Fête de l'art contemporain. Les gens étaient ravis (82,5%) - mais sans savoir pourquoi. Idéal. Ca prouve que quand on veut se bouger, on y arrive. Fête de la Bouge.

Ainsi, hommes des champs et hommes des villes (et femmes des champs et femmes des villes, et paritaires de toutes les parités bien ordonnées et exclus de toutes les exclusions, descendants d'esclaves et homosexuels des trois sexes), ainsi désormais est notre vie, peuplée de fêtes imbéciles visant à nous faire "descendre dans la rue", sans blague, ou encore plus con : "redécouvrir la rue", mais "redécouvrir la fête" n'est pas mal aussi. Et attention à bien "reconquérir la ville"… Tu ferais mieux de surveiller ta femme.

Je m'aperçois que je n'ai pas placé les mots transgressif et ludique. Je jure que je le regrette, et je vous prie de n'en déduire pas ma méchanceté et mes tendances d'extrême droite.

Bon. Pendant ce temps, amis déserteurs de la nouvelle société, continuons notre fuite. Personnellement, j'aime surtout boire des coups avec mes amis, avec Ahmed, qui est homo mais tout le monde s'en fout, sans musique attention on aime s'entendre parler, pendant que les enfants jouent dans l'herbe. Oui, bien sûr, des fois le bruit là-bas de la fête glauque and roll se rapproche, comme une menace sinistre, mais bah, on en a vu d'autres, en 40 notamment. C'était tout de même autre chose, le bruit des chars. Quoique pas tellement.


Jacques Bertin