n° 80
septembre 2003

 

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La Jeunesse à la Culture ?


 
Peut-être quelqu'un se souvient-il de la surprise que fut, lors de la formation du gouvernement Raffarin, le rattachement de la Direction de la Jeunesse ("…de l'Education populaire et de la Vie associative")au ministère de l'Education nationale.

Personne n'avait depuis longtemps envisagé cette mesure - ou alors si discrètement... La séparation se fit à la hussarde. Aucun débat préalable, qui sans doute aurait enterré l'idée. Le coup fut réussi. Mais personne ne nous expliqua pour quelles raisons on l'avait fait.

Et personne n'en parla plus.

Surprenante asthénie : ce qui aurait dû, ou pu, être l'objet de remue-ménage, écrits théoriques enflammés et réparation des tuyauteries anciennes ne fit strictement aucun bruit. Il est vrai que l'indifférence au sujet de l'Education populaire est notoire dans les milieux politiques et médiatiques. En vérité, tout le monde s'en fout.

Malheureusement, le rattachement à l'Education nationale ne semble pas avoir produit de résultat notable. On n'en attendait guère, d'ailleurs. Personne n'a jamais entendu un représentant des enseignants, par exemple, clamer son désir d'une alliance avec les fédérations. Par ailleurs, l'actuel ministre, Luc Ferry semble avoir d'autres chats à fouetter… Donc : rien.

L'Education populaire et les mouvements de jeunesse ont été si méprisés, et si longtemps ! Eux-mêmes, ça se dit beaucoup, manquent de vitalité. Non qu'ils soient inactifs, mais on les sent engoncés dans des bureaucraties soucieuses de respectabilité, de pouvoir, et comme amidonnés par des permanents à profils de carrières. Il y a aussi, à l'évidence et depuis longtemps, la manipulation politique (telle fédération est réputée dans les mains du PC, ou du PS…) qui bloque les enthousiasmes (ce type qui vient me voir est-il des nôtres ? etc). Non, on n'est plus à l'époque des missionnaires et des martyrs.

Sans informations supplémentaires prouvant le contraire (qui n'ont pas filtré…), nous considérons désormais le rattachement à l'Education nationale comme un flop et cette solution inadaptée. Mais avec cette première séparation le plus difficile est fait, nous semble-t-il. Et le moment est peut-être venu de suggérer qu'on ramène l'Education populaire …au ministère de la Culture.

Elle n'aurait jamais dû en être séparée ; ce ne fut qu'un hasard historique, au moment de la création du ministère. Puisque l'Education populaire avait depuis l'origine partie liée avec le ballon et le plein air, on la colla avec les Sports. André Malraux s'en fichait pas mal. Ces successeurs firent de même. Une grande erreur, qui repoussa l'Education populaire vers le social et cassa l'élan qui en faisait en plus d'un vivier de citoyenneté, un vivier culturel. Entre autres, il avait permis à toute une génération de chanteurs (1960-1980) de s'exprimer en dehors des règles du show business ; il fut aussi le terreau de la décentralisation théâtrale ; et l'école enfin où se forma un public ardent, dans les décennies 60 et 70 ; sans compter un paquet de députés et de profs de Beaux-arts qui en venaient tout droit. De bonnes raisons pour le mépris ! La césure éloigna la culture chic du "non-public", et encouragea les nouveaux Créateurs dans des logiques et des zones de plus en plus éloignées de la vie et des gens. Le ministère étant devenu (propos répétés des ministres, sauf Trautmann) "le ministère des Artistes", ceux-ci prirent en retour les tutelles en otage…

Le traditionnel mépris que les gens biens peuvent avoir pour les "animateurs" et pour le "socio-cul" est injustifié, sauf par le désir de distinction. Il n'est d'ailleurs pas si traditionnel que ça : il n'a qu'une trentaine d'années et il doit beaucoup à cette séparation même. Mais il est certain que pour beaucoup de cultureux la réunification semblerait une agression annonçant le retour général au macramé. Or nous pensons qu'au contraire, si les responsables savaient la populariser, la mesure pourrait avoir des effets très positifs. Pour la culture en général, et pour la création artistique, mais oui.

Dans la période actuelle (crise de l'intermittence, remise à plat annoncée des problèmes, etc), cela pourrait être un coup de vent salutaire. Et d'abord rue de Valois. Sortir ce ministère du tête à tête avec "les Artistes", cela ne serait pas mal.

On constaterait ensuite que l'Education populaire entretient (mal, souvent, par manque de moyens) des milliers de salles, de lieux d'expositions, de lieux de réunions, etc. Et qu'il y a là, à condition que le ministère s'invente une politique, des gisements énormes… d'emploi. Ça pourrait servir. Evidemment, il faudrait qu'il soit dit clairement que le but principal de la manœuvre n'est pas là. Il ne faudrait pas non plus qu'on tente de transformer chaque MJC en un nouveau Centre Dramatique National. L'Education populaire devrait garder sa spécificité, qui est de mélanger l'artistique et le social, la citoyenneté et la culture, l'agora et le théâtre, l'amateur et le professionnel, le jeune et le troisième âge. Cela posé, y ramener de la culture serait extrêmement positif pour la vitalité de ces équipements eux-mêmes. On a dans le passé mesuré l'impact de nombreux spectacles peu coûteux sur la vie artistique et sur la vie des quartiers. Et la nouvelle donne aiderait les artistes à se rapprocher des classes populaires…

Il est à craindre que monsieur Aillagon n'ait pas l'audace de se lancer dans une aventure qui pourra lui sembler un peu trop révolutionnaire. Pourtant, un grand dessein ne demande parfois qu'un petit effort. On nous dira que lui aussi a d'autres chats à fouetter. Que dans la période actuelle, cela pourrait sembler hors sujet ? L'intermittence… Mais puisque justement nous sommes invités à réfléchir ! Pas d'actualité ? L'argument ne vaut pas un clou : c'était déjà ainsi l'autre fois ; et c'est justement pour cela qu'on peut le faire.

Jacques Bertin