n° 137
juin 2009

 

 

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Faisons-nous des ennemis…

 

"Rénovation !" C'est le mot d'ordre du moment. "Six mois pour rénover !" titre un journal, à propos du PS. Ben ? On croyait que c'était fait ! A force de n'entendre parler que d'avenir et de rénovation, dans une Europe tournée vers la rénovation et l'avenir, sans parler du futur qui nous occupe d'arrache-pied dans une perspective dynamique et non-frileuse s'attaquant au concret, on s'imaginait que la rénovation (du PS, de tous les partis, du monde entier et de ma belle-mère) était faite ! Ben non. Alors, une seule solution : rénovons davantage.

Mais n'oublions pas, pendant ce temps-là, de nous faire aussi des ennemis. On a ouvert les vannes des gorges chaudes médiatiques à propos des mots de Bayrou contre Cohn-Bendit, en fin de campagne des élections européennes. Les commentaires nous permettent surtout de connaître les choix tribaux du milieu médiatique-autorisé : c'est clair, notre cher Dany est archi-favori. D'un côté un "censeur teigneux", du genre "qu'a vu la Vierge" et qui a perdu son sang-froid. De l'autre un brave type talentueux qui, bon d'accord, dans un livre - mais si ancien ! - raconta jadis qu'il aimait se faire toucher la quéquette (à moins que ce ne soit seulement : la braguette ?) par les gosses dont il avait la charge, puis plus tard fit savoir que c'était juste parce que c'était à la mode, qu'il avait écrit ça, à l'époque.

Moi je le dis sans barguigner : on peut faire un homme d'Etat avec quelqu'un qui est soupçonné de voir la Vierge ; pas avec un gars capable d'écrire n'importe quoi sur un sujet aussi grave. Et ma conclusion est que l'absence d'échelle de valeurs de nos commentateurs politique est en train de devenir un spectacle.

Mais 60 % d'abstention ! Voilà l'information majeure de la période. Une gifle pour tous les politiques et tout le médiatisme. Une gifle qui ramène le vainqueur à un chétif 12 % des inscrits qui devrait lui interdire de jouer les matamores. Voyez-vous, le peuple le plus politisé du monde était à la pêche... J'en connais pas mal qui s'y sont salement emmerdés, à la pêche, ne taquinant le goujon que par idéal civique, en serrant les dents. Ils se rappelaient le référendum sur la Constitution européenne, repoussé assez sèchement naguère ; et ce représentant de commerce qui revint par la fenêtre imposer l'aspirateur qu'ils avaient refusé d'acheter par la porte. Ils n'avaient rien compris à l'avenir de la rénovation, je suppose et on était donc en droit - que dis-je : en devoir ! - de se passer de leur avis. Non, votre vote d'alors ne valait rien ! Vous auriez dû aller à la pêche ! Bon ils y sont allés.

Cette rupture avec le peuple, serait-ce pas un peu la faute au médiatisme ? Il y a un an ou deux, un éditeur sérieux avait alerté la France sérieuse sur le thème : les mœurs du show business ont envahi l'édition sérieuse ; donc tout est foutu pour la culture, l'esprit, tout ça, le sérieux. Voilà qu'aujourd'hui paraît un livre de Roger-Gérard Schwartzenberg, ancien ministre, sur les mœurs du show business pervertissant la politique. Va être temps de s'apercevoir du fait, car le show business existe depuis cinquante ans. De nos jours, d'accord, il s'étend à toutes la société et c'est en effet l'ennemi n° 1 de la civilisation. Sûrs qu'universitaires (sociologie du médiatisme, linguistique, esthétique etc.) vont s'emparer de ça. Et les cultureux (un Bourgeois gentilhomme du médiatique etc.) Voilà du boulot pour toutes les révoltes !

Ben non. Tout est calme. Rien. Ils sont doux comme des moutons.

Puisqu'on parle de show business, voici une info : le 13 mai, le CSA a installé un "comité de suivi pour la diversité musicale à la télévision". Ca me fait bien rire. Des journalistes ont aussitôt rappelé cette loi comique sur les quotas à la radio - qui permet aux show business anglo et francophone de prendre les Français en otage légalement. Est-ce que ce comité va s'emparer de cette affaire-là ou va-t-il seulement ne servir à rien ?

Puisqu'on a parlé plus haut de culture, je signale à mon lecteur un article passionnant. C'est dans Le Monde diplomatique de mai. Franck Lepage y analyse longuement la différence entre l'éducation populaire et "la Culture", montrant comment l'abandon du premier concept, sous Malraux d'abord, puis sous Lang, nous fait une "Culture" authentiquement réactionnaire. Le Monde diplo, on le sait, ne s'occupe pas, d'habitude, de ces sujets-là ; la culture ne l'a jamais intéressé. Voir l'expression "éducation populaire" imprimée dans ses pages, ça fait drôle. Surtout quand il s'agit d'une charge - parfaitement justifiée - contre les cultureux.

Finissons sur les valeurs de l'esprit. Dans un monde aussi pénétré par l'hypocrisie, il faut, pour trouver de la pureté et de l'idéal, aller aux Assises. Je veux parler de l'affaire Courjault - les nouveaux-nés tués par l'épouse et plus tard découverts par l'époux. Si j'en crois les journaux - tous disent la même chose - ce type a, tout du long, cru sa femme, au premier mot, du premier mouvement, avec une naïveté ahurissante. Il lui faisait une confiance absolue. Quand elle lui a avoué, "il s'est accroupi et l'a prise dans ses bras".

Le paradoxe du jour, le voilà : au milieu de tant de médiocrité, c'est dans le lieu du crime, que nous aurons trouvé l'étincelle de l'âme, de la foi dans l'autre, de l'amour qui ne discute rien, qui prend tout, qui ne doute pas un instant de l'être aimé. Merci, mon ami.



Jacques Bertin


PS : L'assemblée générale de la Sacem s'est tenue le 16 juin, avec élection des administrateurs. J'ai souvent écrit sur ce sujet. La Sacem imprime, en plein milieu de la page 1 du bulletin électoral et en grosses lettres pleines de fierté, ce paragraphe : "Extrait de l'article 107 du Règlement général : Il est interdit aux candidats (…) d'établir tout document en rapport direct ou indirect avec leur candidature, de le distribuer par quelque moyen que ce soit etc." Il s'agit de l'interdiction, tranquillement affirmée, de tout débat démocratique, sous peine d'annulation de l'éventuelle élection du contrevenant. C'est énorme. Ca dure depuis des décennies. Evidemment, ce n'est pas conforme aux lois.

Eh bien, le commentaire ci-dessus, de nombreuses fois imprimé par moi au fil des ans dans plusieurs publications, n'a jamais (JAMAIS) reçu un mot de réponse de la Sacem.

Ce silence va finir par être flatteur.