n° 138
juillet 2009

 

 

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Frédériiiiiiic !

 

Bah, mieux vaut un nouveau ministre dont on ne connaît pas du tout les opinions ! L'imagination peut hisser ses voiles… Et que de questions passionnantes on rencontre alors ! Frédéric Mitterrand est-il vraiment pour les Créateurs et la Création ? Oui, j'imagine, sans ça il n'aurait pu passer les clôtures électrifiées du bon goût. Croit-il que la politique culturelle consiste à aider les artistes ou pense-t-il que ça peut aussi être autre chose ? On ne sait pas. Sait-il que cette question peut se poser ? Est-il pour ou contre le chaubise ? (Sait-il ce que c'est ?) Pense-t-il que son rôle pourrait être de lutter contre le médiatisme ? (Sait-il que ça existe ?)

Connaît-il des militants culturels ? Ces gens qui croient en l'émancipation individuelle et collective, la fondation d'une société et l'apprentissage de la citoyenneté et des vertus humaines élevées par la fréquentation des œuvres, la création désintéressée, l'amateurisme, la prise de parole et la pratique associative... Mais cette phrase est trop longue. Cette phrase est-elle trop longue pour lui, et trop ennuyeuse, comme elle l'a été pour Jack Lang ? Est-il pour ou contre la grande alliance languienne entre la Puissance publique et les industries culturelles ? (Sait-il qu'on peut être contre - et contre la massification programmée des comportements culturels ?) Ah, oui, que de passionnantes questions !

Sait-il que la promotion des arts ne saurait tenir lieu d'action culturelle ? Sait-il qu'une république qui n'a aucun idéal d'action culturelle exprime une société qui n'a pas d'idée d'elle même ? Va-t-il me pardonner pour l'étrangeté ringarde de mes propos ?

Enfin, peut-il m'aider à comprendre pourquoi j'ai envie de me foutre de lui après des décennies de militance culturelle (moi, je veux dire…) ?

C'est ainsi, désormais : on nous balance un ministre dont, à force de l'avoir vu quotidiennement dans les médias, on ne sait rien ; c'est génial. Se rattache-t-il à un groupe, à un parti, à une association, ce qui nous permettrait de savoir quelles sont ses options majeures - et de les discuter ? On ne sait pas. Formidable ! Mais on sait déjà qu'il a un scooter ! C'est ce qu'on nomme la "société civile". Marrant, non ? Vive le talent ! Tandis que ces politiciens laborieux et ternes étaient si ternes et laborieux. Est-ce que j'exagère ?

Mais là, quel bon coup il nous a fait, le Président ! Poivre d'Arvor n'était pas disponible (un livre à finir). On peut espérer que ce sera la prochaine fois. Drucker, non plus n'était pas libre - il a pourtant le look du gendre idéal, Drucker, mais il est pris le dimanche, comme c'est dommage ; et il exigeait de continuer son émission. C'est encore trop tôt pour une conception si cool du métier. Paul Géraldy non plus ne pouvait pas. Ni Guy Lux. Laurent Fignon ? La profession culturelle n'est pas encore prête à accepter un sportif drogué. Un artiste contemporain ? Toutes les Drac peintes en rouge, le ministère remonté avec le toit en bas et l'escalier d'honneur en haut, du sang de lapin partout et du dégueuli etc. C'est trop tôt ; les gens sont encore si conventionnels ! Bref, c'est Frédéric Mitterrand. Retournera-t-il à la Villa Medicis dans un an ? Voilà une question bien impertinente. La décence et le respect du poste italien auraient peut-être voulu qu'on restât avec le navire, là-bas ; mais le monde d'aujourd'hui va si vite, tu vas pas reculer devant l'expérience d'un ministère ! Ca nous fera un chouette bouquin, dans cinq ans, plein de petits traits autodérisionnels… Je signale que Sollers est disponible et qu'il est radical, irrécupérable et contre toutes les Eglises et les "croyants" - profil idéal.

Frédéric Mitterrand ne trouve-t-il pas humiliant de n'avoir été qu'une très bonne idée ? Il faudrait que je m'arrête, parce que je vais finir par lui tirer un chewing-gum entre les deux yeux. Alors qu'en réalité je n'ai rien contre lui - ni pour, d'ailleurs, je m'en fous totalement - on en est là... Ce que j'aimerais, c'est une politique. Une politique sur laquelle on serait d'accord ou pas, une politique dont on aurait discuté et qui séparerait les partisans et les adversaires. Mais en cela, je suis borné ; et pas drôle. Une politique par le peuple et pour le peuple ? De quoi je me plains, j'ai un talk-show en prime time par les médiatiques et pour les téléspectateurs ! C'est presque la même chose ; tu chipotes sur les mots.

Mais non, pas de "politique", le nouveau ministre n'a "pas d'idées préconçues" (donc pas de programme). Pas d'idées préconçues car "ce serait d'une grande maladresse d'arriver comme Tarzan". Surtout qu'on en a déjà un, à l'Elysée. Tarzan-le-petit mais quand même…

Il va être confronté au problème des Intermittents. Le ministre - le ministère, les politiques… - a-t-il (ont-ils) la moindre idée du nombre d'artistes professionnels dont la France a besoin ? Pour faire quoi ? Selon quels critères ?

Et la langue française ? La défense de la langue française par le nouveau ministre sera-t-elle acharnée ? Ou seulement une priorité, comme on dit quand on s'en fout ?

La mort de Michael Jackson et l'extravagant plat de nouilles médiatique qui a suivi dans ma gueule m'obligent à ajouter quelques lignes. Ce personnage n'intéressait réellement qu'une infime partie de la population. Nous retrouvons ici les éléments de la mort de Lady D. : le rien magnifié comme une évidence planétaire ! Cette irréalité obligatoire nous le hurle dans les oreilles : le chaubize est la société, est le réel ; et les "journalistes" sont les prêtres de la nouvelle religion… Je n'aurais pas demandé au ministre ce qu'il en pense ; mais il m'a devancé : sa première déclaration a concerné la mort du roi des icônes. "On avait tous une part de Michael Jackson en nous." Je suis certain qu'il s'en fiche pas mal et qu'il a dit cette phrase parce qu'il a estimé que c'était son devoir. Ce qui me pose un problème quant à la conception qu'a l'Etat de la culture. Parce que la phrase, elle est très con. Je n'ai aucune part de ce feu personnage en moi, bien sûr ! Ai-je le droit de continuer à me cultiver ? L'éducation des masses déléguée au capitalisme culturel, ça va donc continuer. Et donc tout commence très fort.

Bienvenue à toi (à vous ? on ne sait plus comment dire !), Frédéric !



Jacques Bertin