n° 141
novembre 2009

 

 

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Les fesses gondaires

 

Formidable ! Ces jours-ci, en retenant sa respiration, l'homme banal croit sentir qu'il vit un moment historique. Je vous jure ! Essayez ; vous verrez !

De quoi s'agit-il ? Eh bien, du premier grand raté de la société médiatique ! Le premier vrai raté somptueux et indiscutable, qui fera date... Evident, drôle, bonasse, même pas polémique : l'affaire du vaccin.

Racontons. Une maladie nous menace ; on nous en fait des tonnes et des kilomètres, depuis des mois ; ses progrès sont fléchés ; la presse est sur le pied de guerre ; une campagne maousse se déplace en avant du microbe ; les meilleurs spécialistes de la com' s'activent : nous devons nous faire vacciner.

Cette campagne "de communication" est comme un fleuve inarrêtable. La ministre est aux manettes, à la parole, en première ligne. On ne voit pas comment une entreprise si parfaitement conçue et avec de tels moyens échouerait. Bref, nous vivons une apothéose du médiatisme, une cavalcade du ce qu'il faut faire, quasiment une œuvre d'art. La perfection.

Et paf, ça foire.

Oh, personne n'a constaté nulle part de méchanceté, de mauvaise foi, d'attentats secrets, de conciliabules. Non. Les trotskistes ne sont pas là (trop compliqué pour eux - et aucun bénéfice politique immédiat à espérer). Mais alors ? Eh bien, pas grand chose : l'indifférence du public. Une pesanteur, un grommellement sans hargne. Quelques-uns, certes, mettent en évidence les intérêts des labos, l'invention de maladies nouvelles... Mais ils sont très minoritaires. Ce qui semble se passer, c'est ceci : l'efficacité même de la médiatisation fait refluer les gens. Puisqu'on nous présente une campagne de santé publique sur le même ton que le dernier tube de machin, on ne lui accordera pas plus d'importance réelle, voilà tout. Puisque c'est comme pour Johnny, alors on n'y croit pas plus qu'à Johnny et on va se coucher. Le vaccin est aussi crédible qu'un tube à la mode. Il semble bien que ce soit l'énonciation elle-même, la campagne - c'est-à-dire ni la maladie ni le vaccin ni même les aspects économiques de l'affaire - qui fasse qu'on traîne les pieds. Mais on traîne les pieds.

Alors, la ministre en rajoute, elle s'époumone, sourire aux lèvres, rassurante et très présente médiatiquement. Elle ne nous dérange pas : c'est juste de la télé...

La maladie fait-elle des fesses gondaires ? On n'en sait rien. On s'en fout. C'est pas la maladie qui fait problème, c'est juste votre insistance...

Et voici le médiatisme pris à son propre piège. Sa première grande crise. J'avais pourtant tout bien fait, balbutie le dir' de com'. Beaucoup d'argent, beaucoup de préparation en amont... Qu'est-ce qui s'est passé ? Pas grand chose. Ou plutôt rien, il ne s'est justement rien passé. On ne fait aucun cas du langage médiatique, qui est protubérant, qui est un brouhaha, qui donne tout comme primordial, les popcorns et la mort des gens, sur le même ton... Peut-être aurait-on dû raccrocher le microbe à la mort de Michael Jackson ? Pourquoi pas ? Les gens passent au large. Leur calme est remarquable. La ministre se dépense encore davantage, se redépense, se démène et s'arrache les cheveux en souriant, le résultat est là, navrant et drôle : on s'en fout.

Comment aurait-on fait, en 1930 ? Voilà : le tambour de ville aurait annoncé un "Aviss à la population !" au carrefour, devant la boucherie. Trois phrases. On aurait apposé une affichette blanche à lettres noires devant la mairie, avec deux petits drapeaux tricolores entrecroisés. Et l'affaire aurait été réglée : des files silencieuses se seraient pressées aux lieux indiqués à l'heure dite...

En 1960 ? Un monsieur maladroit et austère, en cravate et costume sombre, aurait fait, l'air méchant, un discours ridicule en lisant son texte devant une caméra fixe, au Journal télévisé. Et des files silencieuses se seraient pressées à l'heure dite...

Aujourd'hui ? Rien. Première manifestation du refus massif et même pas justifié de l'Injonction. Un événement historique, vous dis-je... Voilà madame Bachelot quasiment sur les genoux d'un infirmier pour nous supplier de la rejoindre (en souriant - faites bien attention à sourire, Roselyne, n'oubliez pas, il faut rassurer...). Elle est pathétique. Très respectueusement, on se permet de dire, madame, qu'on ne vous demande pas de montrer l'exemple, ni d'expliquer l'innocuité du cha-cha-cha, on vous demande de diriger l'Etat.

Aurait-il fallu que Johnny vînt se faire vacciner ? Le Président ? Les deux ensemble ? Oui, mais alors que nous restera-t-il comme joker quand Hitler attaquera vraiment, maintenant que Léon Zitrone est mort ?

Pour la prochaine épidémie, madame, essayez le tambour de ville - et la discrétion. Qu'est-ce que vous risquez ?

Peut-être un mot au sujet du débat sur l'identité nationale ? Bizarre, hein, que ce débat n'ait pas été activement mené en permanence depuis vingt ans. La faute à qui ? A la gauche, bien sûr ! Et le refus du débat par cette gauche - ma gauche - sous le prétexte qu'il pourrait ouvrir sur "des dérives" ou, pire encore, qu'il n'a tout simplement pas de sens ("L'identité nationale, ça n'existe pas !" - entendu plusieurs fois sur France-Culture...), est d'une grande stupidité.

Les milieux culturels ? Ils ne bougent pas : pour eux le sujet est tabou. Ah, s'il avait été question d'un débat sur l'identité nationale kirghize, ou israélienne, ou palestinienne ! Mais française ! Quelle nullité (sans compter les risques de dérapage, hein, attention...) D'ailleurs, pour les professionnels de l'art et de la culture, il y a un autre question, drôlement plus préoccupante : la baisse des subventions... C'est la maladie endémique du secteur et on peut, dans les nuits sans lune les entendre qui se plaignent plaintivement, comme à l'accoutumée, de ce drame sempiternel.

Un dernier mot sur ce débat. J'espère bien qu'on saura citer souvent et mettre à sa juste place le papier, souvenez-vous, c'était il y a dix ans (janvier 1999), de Philippe Sollers, dans Le Monde, le jour où ce journal se déshonora : la France moisie. Certainement l'article le plus con de la décennie. Il faut lire et faire lire cet amoncellement de clichés, ce grouillement d'âneries, ce chef d'œuvre brandi haut de la bêtise intellectuelle ! Je compte sur tous, hein !

Enfin, je terminerai en proclamant que je n'ai aucun commentaire à faire sur ce footballeur français qui a triché dans une compétition internationale. Je n'ai pas regardé ce match. Ca ne m'intéresse PAS DU TOUT.




Jacques Bertin