n° 145
juin - juillet 2010

 

 

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Le nouveau dernier manifeste

 
 

La culture d’aujourd’hui ne nous convient pas. La mode est à la rupture, mais celle-ci n’a ni projet, ni tendresse, ni humour, elle s’enorgueillit de détester l’Homme et l’humain – et nous n’en pouvons plus. Nous en avons assez des provocations, de la remise en question, de l’intéressant, du ricaneur, du pas-dupe. Nous en avons par dessus la tête de nous faire donner des leçons de révolte par des enfants gâtés. Les gosses de la bonne société reprenant le travail destructeur de leurs parents là où ceux-ci l’avaient laissé, ça devient rasoir ! Nous croyons dans le courage du peuple, dans son intelligence, dans sa lucidité. Nous croyons dans le peuple puisque nous en sommes. Parlez-nous du courage, de la grandeur, de la dignité, de la noblesse. Cessez de nous tirer vers le bas avec vos petites angoisses miteuses, vos grinchements, vos ricanements. Nous n’en pouvons plus du politiquement correct, de l’historiquement correct, du culturellement correct, de l’artistiquement correct, du désabusé correct, de l’anti-humanisme correct, du provocant correct, du nihilisme banal. Authentiques rebelles décorés de la Légion, révoltés des beaux quartiers, contempteurs de tout et rien attendant les Arts et Lettres, danseurs mondains écœurés de la société et pérorant dans les médias, foutez-nous la paix ! Si vous n’aimez pas la vie, n’en dégoûtez pas les autres ; si vous ne croyez pas en l’art, faites autre chose. Suicidés de la société bavards, laissez-nous vivre. Artistes en ruptures, provocateurs, déconstructeurs, changez de main et lâchez-nous. Nous savons tout depuis l’adolescence ! Nous avons compris que nous allions mourir et que la société est mauvaise ! Cessez de vouloir nous déstabiliser : la vie s’en charge tous les jours ! Cessez de nous remettre en question : la vie s’en charge tous les jours ! Epargnez-nous vos crachats sur le tapis du salon (c’est ma mère, la femme de ménage). Epargnez-nous vos états d’âme, vos crises d’urticaire, vos petits élans transgressifs. Cessez de nous donner des leçons. Ça suffit la rupture (tout est rompu), il faut recoller les morceaux ! L’art doit recommencer à chanter, à pleurer, à tenter la beauté. Cessez de fumer dans les cabinets ! Fuyons les chiottes ! Nous sommes la vraie jeunesse : nous exigeons de l’amour, du constructif, de l’humour, de l’harmonie, de l’amitié, du positif, de la tendresse, du respect pour le public. De la mansuétude pour le monde. Halte à la théorie qui fait froid dans le dos ! Vive la candeur ! Le travail de lucidité des artistes est devenu un rabâchage débile d’autant plus ennuyeux qu’il nous est imposé. Halte au mépris ! Halte à la flagellation du public ! Déconstructeurs, cessez la déconstruction : tout est déconstruit, désormais, ça va... Construisez ! Construisez ! Construisez ! Efforcez-vous de célébrer le monde, ou foutez-nous la paix ! Contentez-vous de remonter les bretelles à l’accordéon... Dites-nous enfin vos certitudes, vos joies, vos choix, vos voies.

Vivent les valeurs ! Vivent les valeurs, belles comme des belles filles ! Il faut ramener de l’Homme dans la conversation, il faut reconstruire l’humanisme, il faut réinventer l’Homme. Si vous n’y croyez pas, faites semblant ! Puis si vous ne voulez toujours pas y croire, faites autre chose ! Nous voulons de l’avenir pour avoir du présent. Maintenant, ça suffit : on en a marre de l’hiver systématique, de votre hiver interminable contemporain. Vive le printemps ! Nous voulons de la beauté. Nous voulons de la beauté coûte que coûte, même tirée par les cheveux ; même tirée par les cheveux du néant. Même imparfaite, même mal assurée et tremblant de froid.

Les signataires s’engagent à aimer la beauté, à lui faire la cour, à tourner autour d’elle avec insistance et mauvaise foi. Les signataires s’engagent à chercher l’Homme partout, à le traquer, à le ramener par le fond du pantalon s’il le faut. A le forcer à revenir. A lui mentir pour qu’il revienne. A le faire monter sur scène de force pour le faire applaudir, même si c’est immérité. A lui faire un triomphe. A lui offrir à boire. A trinquer avec lui et avec tous ceux qui voudront. A rompre avec le ricanement séculaire. Les signataires s’engagent à ne plus parler dans leur barbe mais chanter en plein vent. A bas les caves. Vivent les intempéries. Vive la mauvaise foi. Vive le temps qu’il fera. Vive l’avenir !


Jacques Bertin

(faites passer)