n° 146
septembre 2010

 

 

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Mansuète est mon nom

 
 

Comment réagir à la dernière trouvaille de Georges Frêche, maire de Montpellier ? Il a décidé d'édifier dans sa ville, dix - bientôt quinze - statues gigantesques de "grands hommes". Mon Dieu, pourquoi pas ?

Parmi eux, il place Lénine. Personnellement, j'ai toujours, militant de gauche, été un adversaire du léninisme - et je trouve la démarche du maire de Montpellier un peu insultante pour les démocrates comme moi…

Mais il n'y a pas que Lénine ! Mao sera bientôt érigé, parait-il ("il a redonné sa fierté à la Chine"). Ah, comme j'étais con, dans ma jeunesse, de me battre contre les maoïstes - au nom du socialisme démocratique, dites donc… Etais-je bête !

Et Staline ! "Un voyou, bien sûr ; à l'origine de 22 millions de morts ; mais il a quand même gagné Stalingrad !" Bon. Mais alors, pourquoi pas Hitler ? Il a quand même joué son rôle dans l'échec du stalinisme, non ? (22 millions de morts, hein… combien eût-il fait de victimes s'il n'y avait eu Hitler ?) Et, personnellement, je trouve que Mussolini n'était pas mal - il a rendu sa fierté à l'Italie et il a très bien géré l'assèchement des Marais pontins… J'ai aussi beaucoup apprécié le Maréchal Pétain, pour sa régularité dans les horaires (et il chantait très joliment Viens poupoule, en privé). Il a aussi un temps redonné sa fierté à la France… L'ayatollah Khomeiny aussi a redonné sa fierté à l'Iran et on dit qu'il avait un réel sens de l'humour. A quand la statue ?

Je jure, à mon prochain passage à Montpellier, d'aller pisser sur les statues de Lénine, de Staline et de Mao. Je vois bien ton idée, Georges ; c'est de montrer qu'un assassin peut aussi être un grand homme (ou l'inverse) et que ça n'a pas tellement d'importance au regard de l'histoire. Nous le savions déjà et célébrer cette affreuseté est parfaitement stupide. Et tu nous insultes quand tu le fais en grandes dimensions. T'aurais mis des statuettes sur ton bureau, dans ton salon, on n'y aurait pas trouvé à redire : tes goûts en grandzommie sont les tiens… Puis, en plus de ça, tu insultes aussi tous les citoyens anonymes qui tentent de vivre honnêtement. Des minables qui n'ont aucun sens de la grandiosité historique, diras-tu... Eh, pourquoi pas une statue de l'honnête homme inconnu ? Chiche ! Allez, réhabilite-toi !

Enfin, si je suis ton idée plus loin, on peut être un grand maire et un type un peu con ? Ça aussi, on le savait.


Je n'ai pas réagi à l'affaire des humoristes virés de Radio-France. Je déteste absolument les humoristes (et autres caricaturistes journalistiques) et l'exorbitant pouvoir qu'ils se sont attribué ces dernières années de faire de chacun une proie, sans aucun respect des règles qui régissent la parole publique et le journalisme. Je tremble à l'idée qu'ils puissent s'emparer de mon cas, un jour - et qu'évidemment, je ne puisse répondre. Les rieurs seraient là-haut, dans les médias, je serais foutu d'avance... Ils ne sont donc que le bras armé du médiatisme, et ce qu'ils proclament à l'intention de chacun est un avertissement : celui qui se fait remarquer est un mort en sursis.

Leur conformisme, surtout est pénible. Ils attaquent en meute, sans jamais remettre en cause les idées convenues, les clichés dominants. Ce qui fait que tant qu'ils se sont bornés au bon-enfant, au clin d'œil pas méchant, on les aimait puisqu'ils se moquaient de nos clichés, justement. Mais ils se sont octroyés la position d'éditorialiste. C'est navrant. Quand on annonce un humoriste, je coupe aussi sec.

Que faire ? est la question du citoyen rencontrant un humoriste. Lui roter dans la gueule est bien - quoique basique. Pisser sur le bas de son pantalon pendant qu'il parle est bien aussi (il faudra surtout ne pas oublier d'éclater de rire à la fin, c'est comme une signature garantissant vos droits en cas de procès). Notez bien que je ne veux pas les censurer, les interdire ! Je veux simplement avoir le droit de pisser sur leur pantalon - au nom de l'humour et d'un irrespect vachement ravageur.


Je n'ai pas réagi non plus aux appels aux armes de monsieur André Schiffrin qui publie des livres sur le problème de la dérive de l'édition littéraire vers les mœurs du show-business. Il tire la sonnette d'alarme, nous dit-on, car "l'édition française est en danger et les voix discordantes seront bientôt bâillonnées, parce que privées de tout canal d'expression". Cette catastrophe qu'il a vu se produire aux Etats-Unis est imminente en France et constituera un "désastre culturel" ! Je n'en reviens pas. Le show business dans sa forme épanouie existe depuis environ cinquante ans. Ce qui s'est passé dans d'autres secteurs de la culture - mettons la chanson, le disque... - n'avait-il aucune importance pour monsieur Schiffrin ni aucune chance de se transposer dans toute la culture ?

Ayant combattu le show business depuis longtemps, j'aurais aimé avoir l'aide des intellos-littéraires. Malheureusement, elle n'est pas venue. Maintenant, c'est du sérieux et vous vous mobilisez ? Ben, c'est trop tard. Va au diable.


Et, quittons les hautes sphères, poursuivons dans la mansuétude, mais soyons pour terminer un mansuète local. Je ne réagirai pas, cette année encore, à la sonorisation dans les rues lors des successives quinzaines "d'animation" de ma ville. Ah, c'est qu'il faut bien mettre ici "un petit air de fête" ! Bon, mais ce pensum quotidien me vrille la tête, me fait fuir le commerce local et m'exile dans ma cuisine à longueur de journées.

Je ne proteste pas publiquement ! Car je ne veux pas qu'on pense que je suis contre les commerçants… Cela dit, j'ai bon espoir : pendant le récent vide-grenier, des milliers de personnes badaudaient dans les rues et on n'avait installé AUCUNE SONORISATION ! La joie de vivre ! Une vraie fête !

Ah, il y a aussi le Supermarché avec l'effrayant couinement des hurleries au dessus de nos têtes. Comme si on égorgeait une colonie de vacances dans un garage à pelleteuses. Et les malheureuses caissières, obligées de subir cette "musique"… Que fait l'Inspection du travail ? Mystère.

Mais voici le plus ahurissant. Un examen médical à l'hôpital. Salle d'attente. On m'agresse avec une sonorisation "d'ambiance" (variétés standard-merdiques). Parce que, supposément, le silence m'angoisse… Ce qui m'angoisse, c'est la question : qui paie la Sacem ? La Sécu, bien sûr. L'imbécile qui a trouvé ça devra être décoré d'une tarte à la crème. La tarte à la crème dans la gueule, ça les apaise.

Mansuète est mon nom. Bientôt ma statue chez Frêche…

 


Jacques Bertin