n° 152
avril 2011

 

 

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Stupeurs !

 


Stupeur ! Le mardi 15 mars, zappant ma télé, je tombe sur les questions orales à l’Assemblée nationale. Le député Patrick Roy interroge le Ministre de la culture. Dans un discours émouvant, il remercie d’abord ses collègues de tous bords politiques pour leur amitié pendant la période où la maladie l’a mis entre la vie et la mort. Puis, mais voilà, mais soudain, je tombe de mon siège, je bondis de ma baignoire, mon cheval fait un écart, mes yeux sortent de ma tête et mes oreilles de leurs nids : il réclame la « diversité culturelle » sur les chaînes de radio et télé publiques car il estime que le « rock métal » n’y est pas suffisamment diffusé ! Je jure que c’est vrai.

Le temps que je régurgite ce bâton de dynamite, le ministre de la Culture, dans une réponse en roue libre, répond que le « cahier des charges des télévisions publiques ne l’autorise pas… ». Plan plan plan, pom pom, tout ça... Je coupe.

Vu que j’ai pris cette séquence pour une insulte dans ma gueule ! Le député Patrick Roy devrait savoir que, depuis la fondation du ministère, la chanson, ou la variété, ou la musique comme on dit maintenant, a été confiée aux intérêts du commerce et de l’industrie sans aucune hésitation ni jamais aucun début de réflexion des pouvoirs publics, ni de la députation, ni des intellectuels, ni des professions artistiques en général. Il n’y a jamais eu en France aucune politique publique dans ce secteur. Et voilà que Patrick Roy interroge le ministre sur le rock métal !

Ah, il aurait fait bon que la même indifférence eût régné depuis cinquante ans au sujet du théâtre ou des arts plastiques ! Patrick Roy n’ignore pas non plus que la loi française « sur les quotas » protège les tubes en anglais sur les radios ! Ah, il ferait bon qu’une loi garantisse un pourcentage de théâtre en anglais sur les ondes ! On les entendrait les cultureux ! Mais là, on n’entend rien ; sauf un député qui plaide pour le rock métal…

Le soir même, je vais assister à un spectacle d’une chanteuse « marginale » (Hélène Maurice). Totalement inconnue des médias français. 300 personnes dans une salle non-institutionnelle. Très beau spectacle de chansons. Le lendemain, je sors pour un autre spectacle de chanson tout aussi martien (Michel Boutet, très bien aussi) : 300 autres personnes. Même en comptant que quelques dizaines étaient présents les deux soirs, ces chiffres indiquent que, dans une ville moyenne de province, le public intéressé par la chanson « à texte » marginale et non médiatisée est nombreux, entre 500 et mille personnes, au moins. Et le public potentiel, si on s’en occupait un peu ? Mais c’est un public orphelin qui erre dans l’abstention sempiternelle des institutions culturelles, en l’absence de subventionnement, malgré l’inexistence de toute structure nationale ou régionale de soutien et dans l’indifférence enfin, bien sûr, des députés et de leurs questions orales, cela va sans dire…

En rentrant chez moi, ces soirs-là, minuit passé, je tripote ma radio et successivement tombe sur deux chaînes publiques : France-Inter et France musique. Dans les deux cas, les deux soirs : chanson (on dit musique) en anglais !

Alors : question au député Roy et à tous les autres ainsi qu’au ministre Mitterrand : est-ce que la chanson, celle qui se fait dans la langue de mes ancêtres et qui me vient de ma mère, de Villon, de Hugo, de Verlaine, d’Aragon, de Ferré et de Brassens, et pas avec du métal mais avec de la chair, du chant et des mots, présente pour vous le moindre intérêt, ou faut-il continuer à la laisser entièrement aux mains du commerce et de l’industrie ? Parce que j’en suis à me demander si je ne vais pas carrément abandonner ma langue natale, la française (vous connaissez ?).

(J’ai aussi remarqué que la date du premier spectacle de Johnny Halliday, en 1961, était inscrite dans la liste des célébrations nationales ! C’est de l’humour national ? Ou seulement de la bêtise officielle ?)



Poésie. Un grand journal parisien donne une info sur le tirage des livres de poésie : tirage moyen : 500 exemplaires. C’est bien ce que je disais - dans Policultures n° 143, de février 2010... Si vous enlevez les exemplaires offerts par l’auteur à sa famille et à ses étudiants (il est le plus souvent prof de fac…), les quelques dizaines envoyés aux journalistes littéraires qui n’en ont rien à faire, et ceux offerts par l’éditeur aux bibliothèques françaises à l’étranger, la conclusion s’impose : plus un lecteur. Quand est-ce qu’on réagit ?



Cadou. Le 20 mars 1951, mourait René Guy Cadou. Cet anniversaire est beaucoup moins important que celui du premier concert de Johnny Halliday - il n’est donc pas dans la liste des célébrations nationales. (Mais je reconnais que la mort d’Armand Robin est signalée dans la même liste. Robin doit bien rire – surtout d’être en compagnie de Johnny Halliday…) Cadou a, ce 20 mars, été célébré à Nantes par la fondation d’une « association Cadou-poésie » où se réuniront ses fervents : les milliers de lecteurs fidèles qui depuis un demi-siècle le font vivre par le bouche à oreille dans l’indifférence des hauts milieux haut-parisiens (il n’est jamais cité dans la presse centrale ; rien ne change jamais dans ce pays…)



Le mécénat. Un grand journal haut-parisien m’apprend que le mécénat culturel est en baisse. 63% en deux ans ! Dès que ça va mal ou lorsqu’ils n’ont plus rien à gagner, économiquement ou idéologiquement, les mécènes se dérobent. Ca n’étonne que les naïfs. Je lis que, selon le président de l’Admical, association d’encouragement au mécénat, il « est en train de mourir ». Cette catastrophe sera pour moi l’occasion de reitérer (lire Policultures n°124, de février 2008) mon opposition à ce mode de financement de la culture. C’est à l’Etat, représentant la société, de financer l’action culturelle, avec nos impôts ; et pas à la firme Untel selon son intérêt commercial à court terme et petite vue ! C’est une question de principe. Quoi ? Je suis minoritaire ? Et alors ?



Appel à l’aide. Je voudrais pouvoir ouvrir ma télévision sans tomber sur Alain Minc ou Jacques Attali... Cela semble une espérance irréalisable. Sont-ils là en raison d’une loi qui les rend obligatoires ? Quelqu’un peut-il me dire si un recours devant la Cour européenne des droits de l’homme aurait une chance ? (Même question pour Johnny Halliday : je voudrais pouvoir sortir dans la rue sans me faire barrer la route par ce mec ! Dois-je me munir d’un révolver ?) (Peut-être trouverez-vous que je vous parle trop souvent de Johnny ? Ah, vous voyez, comme c’est désagréable…)

 

Jacques Bertin