n° 162 |
Q'attendez-vous
d'une politique culturelle ?
Qu’attendez-vous d’une politique culturelle ? C’est
le titre d’une série qu’un quotidien a publié pendant la campagne
présidentielle. Pourquoi ne pas s’amuser à ce jeu ? Qu’est-ce que je
répondrais si l’on me posait cette question ? Pour commencer, ce qui serait bien, c’est que le
ministère de la culture soit confié à quelqu’un qui aurait déjà exprimé des
opinions sur la politique culturelle. Hélas, je ne crois pas que cela soit
jamais arrivé... Passons. Ce que j’attends ? D’abord et avant tout la
défense de la langue française. Elle n’est pas, comme le croient nos élites, en
cela fidèles à l’éternel esprit munichois, une pesanteur locale obsolète. Puis le refus d’une culture au service de l’économie
et du tourisme. Sur le plan local, ça se fait de plus en plus - comme si
c’était naturel. Or, nous devons regarder plus haut ; la culture est une
façon de s’émanciper, individuellement et collectivement. Ce serait bien que le
nouveau ministre affirme une rupture. Puis une rupture avec la tendance visant à remplacer
l’argent public par le mécénat d’entreprise. L’esprit de celui-ci
(appropriation de l’art par l’argent pour des bénéfices de publicité) est par
essence malsain. J’apprécierais la relance de l’Education populaire,
qui serait placée au centre. On commencerait par l’intégration de la Direction
de la jeunesse et de la vie associative dans le ministère de la culture, dès le
premier jour du nouveau gouvernement, le lundi matin. Un grand discours du
nouveau ministre, dès le mardi, serait le bienvenu. Et un grand débat national
(ouvert par le Président de la République). Thème : l’Education populaire
et l’Action culturelle, ce que le pays et notre culture leur doivent - oui, je
sais, c’est une provocation. Et oui, j’aimerais bien qu’une initiative symbolique
soit prise pour rappeler d’où nous venons : Copeau, Lagrange, Uriage,
Vilar, les MJC et caetera. Colloque
annuel ? Exposition ? Publications ? Lieu de mémoire ?
Discours solennel du ministre ? Mais est-il seulement au courant ? Le règlement du problème de l’intermittence
(personne ne sait combien nous pouvons payer d’intermittents ni où fixer la
limite) étant impossible du fait de l’irresponsabilité obligatoire de tous,
nous attendrons donc provisoirement que le système s’écroule. Mais on pourrait
au moins exiger des grands organismes dépendant de l’Etat qu’ils cessent de
transférer des emplois permanents sur l’intermittence. Tant qu’il y est, le
nouveau ministre posera aussi le problème aux maires de toutes les villes de France... J’apprécierais la relance de l’amateurisme,
notamment dans le théâtre (Mieux vaut un amateur épanoui qu’un professionnel
mort d’angoisse obligé de faire la pute pour avoir ses heures). Ca commence par
quelques gestes venant d’en haut. Je n’ose espérer la reconnaissance de la chanson
française comme discipline à part entière (et échappant donc à la catégorie
dite « musiques actuelles », celles-ci, d’ailleurs n’ayant jamais
commencé à partager la place). Que la chanson jouisse des mêmes systèmes d’aide
et équipements que les autres arts. A condition, bien sûr, qu’on écarte les
industriels et les gens d’affaires. On exigera des programmations sérieuses de
la part des Scènes nationales et autres équipements publics (et la limitation
obligatoire des cachets des artistes payés avec l’argent public). Sur les chaînes publiques de radio et télévision, on
exigera une programmation non basée sur les tubes français et anglo-saxons
imposés. On remettra en question la loi stupide qui a cédé à l’industrie
américano-anglaise un pourcentage obligatoire de nos antennes et aux
industriels fabricants de tubes français le reste. Peut-on espérer la remise à leur place des
industriels de la culture en général... Et donc la lutte affirmée contre tous
les show-business et contre le système de consommation massive et simultanée
d’œuvres musicales ou littéraires. Les initiatives visant à démasquer et
combattre le médiatisme, nouveau système de manipulation des classes
inférieures, seront encouragées et prioritaires. Je pourrais
continuer. Le faut-il ? J’ai appris, avec les années, à ne rien espérer. Ca
risque de durer. Et je n’imagine plus un ministre s’opposant aux secteurs et
groupes dominants de la culture d’aujourd’hui (le Tout-Paris de la Création
d’un côté et les industries culturelles de l’autre)... Dans ce cas, je propose
ce qui suit. Les demandeurs de subventions devront obligatoirement être
rebelles, décalés, non ringards ; des inspecteurs de la rébellion seront
installés ; tout ringard pris sur le fait sera immédiatement condamné à être
exécuté dans Libé ; les artistes qui ne bousculent pas nos conformismes
seront écartés ; le chapeau et les lunettes noires seront désormais
obligatoires sur les plateaux de télévision et dans les couloirs du ministère ;
enfin, au moins un mot par phrase devra être anglais ou américain – ceci pour
la première période de cinq ans, après quoi on passera à deux mots ; puis
trois... Arrêtons là. Mon lecteur aura compris que je n’attends véritablement
pas grand chose d’un nouveau ministre. D’ailleurs, il érigera probablement une
statue à l’abominable Claude François (celui qui bêle, bêle, bêle, comme
personne). Non ? Allons !
Changeons de sujet. Et pour terminer, partons très loin. Donnons un coup de chapeau
à la jeunesse. Les jeunes sont intelligents ; je le prouve ! Des
petits gars avec un A sur la vitre arrière de leur auto passent en bas de chez
moi, dix fois par jour. Je suis chaque fois emmerdé par le boum-boum : la
« musique » à fond la caisse. Par là, ils montrent leur liberté :
je vous emmerde, youppie et caetera. Mais, ami lecteur, faites l’expérience que voici.
Tournez la tête après le passage du boum-boum : neuf fois sur dix, oui, il
a un A sur la vitre arrière. Ca prouve 1) que les jeunes sont des cons. 2) Que
les jeunes sont intelligents. Pourquoi le « 2) » ? Parce que le
pourcentage (9 sur 10) prouve que sitôt passée la période du A obligatoire, ils
l’arrachent et aussitôt arrêtent les conneries, ayant très bien compris que le
boum-boum est intolérablement con. Vive la jeunesse !
Jacques Bertin |