n° 162
avril 2012

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Q'attendez-vous d'une politique culturelle ?

 

Qu’attendez-vous d’une politique culturelle ? C’est le titre d’une série qu’un quotidien a publié pendant la campagne présidentielle. Pourquoi ne pas s’amuser à ce jeu ? Qu’est-ce que je répondrais si l’on me posait cette question ?

Pour commencer, ce qui serait bien, c’est que le ministère de la culture soit confié à quelqu’un qui aurait déjà exprimé des opinions sur la politique culturelle. Hélas, je ne crois pas que cela soit jamais arrivé... Passons.

Ce que j’attends ? D’abord et avant tout la défense de la langue française. Elle n’est pas, comme le croient nos élites, en cela fidèles à l’éternel esprit munichois, une pesanteur locale obsolète.

Puis le refus d’une culture au service de l’économie et du tourisme. Sur le plan local, ça se fait de plus en plus - comme si c’était naturel. Or, nous devons regarder plus haut ; la culture est une façon de s’émanciper, individuellement et collectivement. Ce serait bien que le nouveau ministre affirme une rupture.

Puis une rupture avec la tendance visant à remplacer l’argent public par le mécénat d’entreprise. L’esprit de celui-ci (appropriation de l’art par l’argent pour des bénéfices de publicité) est par essence malsain.

J’apprécierais la relance de l’Education populaire, qui serait placée au centre. On commencerait par l’intégration de la Direction de la jeunesse et de la vie associative dans le ministère de la culture, dès le premier jour du nouveau gouvernement, le lundi matin. Un grand discours du nouveau ministre, dès le mardi, serait le bienvenu. Et un grand débat national (ouvert par le Président de la République). Thème : l’Education populaire et l’Action culturelle, ce que le pays et notre culture leur doivent - oui, je sais, c’est une provocation.

Et oui, j’aimerais bien qu’une initiative symbolique soit prise pour rappeler d’où nous venons : Copeau, Lagrange, Uriage, Vilar, les MJC et caetera. Colloque annuel ? Exposition ? Publications ? Lieu de mémoire ? Discours solennel du ministre ? Mais est-il seulement au courant ?

Le règlement du problème de l’intermittence (personne ne sait combien nous pouvons payer d’intermittents ni où fixer la limite) étant impossible du fait de l’irresponsabilité obligatoire de tous, nous attendrons donc provisoirement que le système s’écroule. Mais on pourrait au moins exiger des grands organismes dépendant de l’Etat qu’ils cessent de transférer des emplois permanents sur l’intermittence. Tant qu’il y est, le nouveau ministre posera aussi le problème aux maires de toutes les villes de France...

J’apprécierais la relance de l’amateurisme, notamment dans le théâtre (Mieux vaut un amateur épanoui qu’un professionnel mort d’angoisse obligé de faire la pute pour avoir ses heures). Ca commence par quelques gestes venant d’en haut.

Je n’ose espérer la reconnaissance de la chanson française comme discipline à part entière (et échappant donc à la catégorie dite « musiques actuelles », celles-ci, d’ailleurs n’ayant jamais commencé à partager la place). Que la chanson jouisse des mêmes systèmes d’aide et équipements que les autres arts. A condition, bien sûr, qu’on écarte les industriels et les gens d’affaires. On exigera des programmations sérieuses de la part des Scènes nationales et autres équipements publics (et la limitation obligatoire des cachets des artistes payés avec l’argent public).

Sur les chaînes publiques de radio et télévision, on exigera une programmation non basée sur les tubes français et anglo-saxons imposés. On remettra en question la loi stupide qui a cédé à l’industrie américano-anglaise un pourcentage obligatoire de nos antennes et aux industriels fabricants de tubes français le reste.             

Peut-on espérer la remise à leur place des industriels de la culture en général... Et donc la lutte affirmée contre tous les show-business et contre le système de consommation massive et simultanée d’œuvres musicales ou littéraires. Les initiatives visant à démasquer et combattre le médiatisme, nouveau système de manipulation des classes inférieures, seront encouragées et prioritaires.

Le remplacement, dans les paroles du ministère d’abord, puis dans ses actions, de « la Création » (défense de la création et des créateurs etc.) par la culture. A propos, le ministère n’est pas « la maison des artistes », mais celle de la culture - qui n’est pas seulement l’art ni « la création ».

 

Je pourrais continuer. Le faut-il ? J’ai appris, avec les années, à ne rien espérer. Ca risque de durer. Et je n’imagine plus un ministre s’opposant aux secteurs et groupes dominants de la culture d’aujourd’hui (le Tout-Paris de la Création d’un côté et les industries culturelles de l’autre)... Dans ce cas, je propose ce qui suit. Les demandeurs de subventions devront obligatoirement être rebelles, décalés, non ringards ; des inspecteurs de la rébellion seront installés ; tout ringard pris sur le fait sera immédiatement condamné à être exécuté dans Libé ; les artistes qui ne bousculent pas nos conformismes seront écartés ; le chapeau et les lunettes noires seront désormais obligatoires sur les plateaux de télévision et dans les couloirs du ministère ; enfin, au moins un mot par phrase devra être anglais ou américain – ceci pour la première période de cinq ans, après quoi on passera à deux mots ; puis trois... Arrêtons là. Mon lecteur aura compris que je n’attends véritablement pas grand chose d’un nouveau ministre. D’ailleurs, il érigera probablement une statue à l’abominable Claude François (celui qui bêle, bêle, bêle, comme personne). Non ?

 

 

Allons ! Changeons de sujet. Et pour terminer, partons très loin. Donnons un coup de chapeau à la jeunesse. Les jeunes sont intelligents ; je le prouve ! Des petits gars avec un A sur la vitre arrière de leur auto passent en bas de chez moi, dix fois par jour. Je suis chaque fois emmerdé par le boum-boum : la « musique » à fond la caisse. Par là, ils montrent leur liberté : je vous emmerde, youppie et caetera.

Mais, ami lecteur, faites l’expérience que voici. Tournez la tête après le passage du boum-boum : neuf fois sur dix, oui, il a un A sur la vitre arrière. Ca prouve 1) que les jeunes sont des cons. 2) Que les jeunes sont intelligents.

Pourquoi le « 2) » ? Parce que le pourcentage (9 sur 10) prouve que sitôt passée la période du A obligatoire, ils l’arrachent et aussitôt arrêtent les conneries, ayant très bien compris que le boum-boum est intolérablement con. Vive la jeunesse ! 


Jacques Bertin