n° 167 |
Ma
dernière télé
Voici l’histoire de ma dernière télé. Ca se passe il y a quelques semaines. Le téléphone sonne ; je décroche ; une voix féminine aimable me propose de participer à une émission sur la Loire, pour FR3. Comme on sait que j’ai écrit des choses sur ce sujet, on pourrait venir dans ma petite ville, sur le bord du fleuve et réaliser un sujet de quatre minutes, format habituel de l’émission. - Pourquoi pas, réponds-je. On prend date. J’envoie à l’adresse indiquée livres et disques qui, en effet, utilisent et célèbrent ce décor. Quelques jours après, la même voix féminine agréable me rappelle, afin de préciser et organiser l’affaire. - On va tourner chez vous. (Cela est annoncé sur un ton qui ne se discute pas.) - Oh, non, réponds-je gentiment, il y a assez de beaux paysages de Loire, ici ! (Et je ne souhaite pas livrer mon intimité de cette façon – mais ça je ne le dis pas.) - Si ! insiste aussitôt la voix : nous voulons vous filmer chantant dans votre cadre de vie. (Là, je comprends que sur quatre minutes, nous aurons deux phrases d’une chanson dans mon salon...) - Non, fais-je sur le même ton qu’elle, je ne le souhaite pas. - Alors, on ne va pas la faire, dit-elle sur le toujours même ton. Et moi, sur le même : - Eh bien tant pis. Elle : - Au revoir ! Moi (même ton) : - Au revoir ! Pas un mot de plus. La télé est un monstre froid ; elle sait ce qu’elle veut et n’a pas de temps à perdre. Il y a beau temps que j’ai compris ceci : c’est moi qui suis au service du médiateur et non l’inverse. Autrement dit, mais tout le monde le sait : les artistes ne sont que l’alibi du média. Théorème : le vrai message, c’est le média. Moi, si je veux bien participer à une émission de télévision, je ne veux pas être un camembert posé sur un rayon de supermarché et qu’on attrape d’une main pressée. Adieu mademoiselle. Mais ce qui m’a frappé, c’est l’indifférence assumée, polie, presque souriante avec laquelle elle annonce : bonjour, je suis le pouvoir, c’est ça ou rien. Ah, j’imagine qu’elle a paxaafère, que son chef non plus n’a paxaafère et qu’ils sont encombrés, d’ailleurs, de gens prêts à tout pour qu’on vienne démantibuler leur salon et montrer leurs photos de famille à la terre entière. Ce n’est pas mon cas. Adieu. Je vous pardonne car je sais que votre métier vous fera pleurer avant moi.
Je retrouve dans mon désordre une note, vieille de quelques semaines. Je suis dans mon auto lorsque, sur une radio, j’entends Jack Lang, sortant du concert de Madonna : « Eblouissant ! » C’est son commentaire. Puis, comme la star a quitté la scène après 40 minutes, nous dit-on, (étant arrivée avec deux heures de retard...), l’ancien ministre de la Culture évoque « la responsabilité de l’argent dans le spectacle ; les pouvoirs publics devraient s’interroger. » J’ai dû faire une embardée ! Jack Lang découvrant le show-business, les commerçants, les industriels de la variété ! Eblouissant ! Heureusement, il y a des gens qui n’ont pas attendu le passage de Madonna à Paris pour faire cette découverte et s’interroger. Je veux rendre ici hommage au fondateur du « plus vieux café-théâtre de France », ainsi qu’il disait lui-même. Guy Suire, animateur pendant quarante-cinq ans de l’Onyx, à Bordeaux. Il a pris sa retraite au printemps. Bravo et merci, vieux Suire. Et un autre hommage à l’équipe du Forum Léo Ferré, à Ivry. Ils étaient spécialisés dans « la chanson non-crétinisante », comme ils disaient. « Après onze années de bénévolat à un rythme soutenu, l’équipe a décidé de jeter l’éponge. L’épuisement, l’âge qui vient, le désir de passer à autre chose, comme les difficultés à maintenir à flot, financièrement, un lieu non subventionné mais auquel s’intéressent un certain nombre d’organismes plus ou moins parasitaires, l’arsenal grossissant de lois, règles et impératifs plus ou moins stupides auquel il convient par ailleurs de se soumettre sous peine de gros ennuis, en sont les causes. » Bravo et merci, les amis. Vous me demandez de mes nouvelles ? Vous parlerai-je du mariage des homosexuels et du droit de vote des étrangers ? Je suis, une fois encore, sidéré de constater comment, sur ces deux sujets, dans les grands médias nationaux, dans la récente période, le problème a semblé réglé d’avance : il y a les bons et il y a les méchants (racistes, homophobes, franchouillards de souche etc.). Je vous le redis : il n’y a pas de problème d’immigration, pas de problème de Roms, il ne faut plus (en France – partout ailleurs on peut) parler d’identité nationale. La lutte du bien contre le mal continue donc. Eh bien, étant contre le mariage des homos et contre le vote des étrangers, je poursuis donc ma dérive vers un authentique nazisme. Un mot sur le mariage des homos. L’adoption ? On m’a bassiné depuis cinquante ans avec la psychanalyse : sa mère ne l’embrassait pas assez, sa mère l’embrassait trop, tout est réglé à six ans... Soudain, on se préparerait à essayer l’absence de figure maternelle avec double figure paternelle, ou l’inverse ! Une génération de cobayes ? Merci pour eux. (On n’entend pas trop les psys, bizarrement, tout d’un coup...) Le mariage à trois ou quatre est la prochaine étape, évidemment. Au nom de quoi l’interdirez-vous à un homme et deux ou trois filles majeures consentantes ? Et un homme et sa sœur ? (Je déconne ? J’ai lu récemment deux gros articles dans deux grands quotidiens nationaux en faveur d’un futur « contrat universel » appelé à remplacer le mariage...) Sur le droit de vote aux étrangers. Cette façon de séparer la citoyenneté en cases plus ou moins importantes (élections locales mais pas nationales etc.) est une énormité. La citoyenneté ne se divise pas ! La citoyenneté modulable ? Approximative ? A quand le retour au vote censitaire ?
Finissons. Un de mes amis, un artiste qui se revendique « pas de gauche », me confiait ces jours-ci comme il se sentait agressé par le milieu culturel, où il semble naturel qu’on soit tous de gauche... Et on lui parle sans cesse comme si, bien sûr, lui aussi en était... Ce tribalisme du bien, ce corporatisme du ce qui va sans dire témoignent d’un manque d’imagination et d’un conformisme qui sont d’habitude les ennemis déclarés de nos milieux... Que faire ? Dans un premier temps, une attitude de gauche pourrait être d’admettre que sur toute chose on a peut-être raison - mais que ce n’est pas tout à fait sûr. Il est vrai que je peux me tromper... Jacques Bertin |