n° 173
juin 2013

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Ah, les munichois !

 

Devons-nous continuer à être Français ? N’est-ce pas être trop frileux ? Trop “ repli sur soi ” ? Au moment où j’écris, on annonce que l’Assemblée nationale a voté un projet de loi, présenté par madame Fioraso, ministre de l’Enseignement supérieur, qui décide que certains enseignements pourront être dispensés en langues étrangères - en anglais, bien sûr.

La raison en est que c’est désormais la langue scientifique internationale. Si les chercheurs veulent être publiés, ils doivent écrire en anglais. Donc, en avant ! Et ne tardons pas ; la ministre commente : “ La façon dont la polémique durait, risquait de donner de nous, une image de défaitisme, de repli sur soi ”. Il est vrai qu’entre la langue française et une telle image, il faut choisir, fissa.

(En face, les défenseurs du français ont évoqué le message décourageant envoyé aux militants de notre langue à l’étranger ; mais ça ne faisait pas le poids...)

Les arguments des partisans de cette évolution sont excellents, reconnaissons-le. Ils ont raison. Au point que, dans la même logique, certains demandent déjà davantage. “ On devrait, dit quelqu’un, avoir la liberté d’enseigner ce qu’on souhaite dans la langue la plus apte à s’adapter au public visé... ” Il veut dire : l’anglais.

Mais bien sûr ! Et la question se pose désormais : à quand tout l’enseignement en anglais, dès l’école primaire ? Ca nous ferait une belle image de dynamisme, non ? Enseignement bilingue pour commencer. Puis, plus tard, une seule langue - la française n’étant plus qu’un patois littéraire dont l’apprentissage serait facultatif. Tiens, je prends le pari : dans trente ans la France sera constitutionnellement bilingue.

...J’appelle ça l’esprit munichois. Les accords de Munich, signés entre Hitler, Daladier, Chamberlain et Mussolini, en septembre 1938, autorisaient Hitler à annexer les régions germanophones de la Tchécoslovaquie. Les gens raisonnables pensaient que ça permettrait d’éviter la guerre. Follement applaudi à son retour de Munich, mais nullement dupe, Daladier grince dans ses dents : “ Ah, les cons ! ” Avoir l’esprit munichois, le mot est resté, c’est penser qu’un mauvais accord vaut toujours mieux qu’une lutte incertaine. C’est juste avant l’esprit vichyste, qui, lui, souffle ceci : il faut savoir admettre la défaite et collaborer pour sauver les meubles.

Eh bien, à tous les gens raisonnables, je veux rappeler le cas québécois.

Le Québec est une bataille d’arrière-garde absurde, par un peuple irrationnel. Ca dure depuis deux siècles et demi. Ces frileux s’obstinent à refuser l’anglicisation ! En 1760, ils étaient 50 000 contre 1 million et demi d’anglophones et le repli sur soi francophoniste l’emporta. Au milieu du XIXème siècle, Montréal était majoritairement anglophone mais la frilosité l’emporta encore ! Vers 1970, les francophones étaient 25% des Canadiens. Allaient-ils se rendre à la raison ? Se rendre ?

Non. Comme ils n’étaient pas raisonnables, ils ne se rendirent point.

Ici, je ne puis résister au plaisir de citer tout entière et dédier à madame Fioraso la tirade de Trudeau, ancien Premier ministre du Canada, qui écrivait ceci, dans les années 60 : “ Nous pouvons minimiser l’importance de la souveraineté de l’Etat, tirer le maximum d’avantages de notre intégration au continent américain et faire du Québec une province idéale pour le développement industriel. Tant pis si le particularisme québécois (y compris la langue) en souffre. C’est à ce prix que les Québécois atteindront un plus haut niveau de vie et de développement technique. De cette position matérielle supérieure, ils pourront affirmer avec force ce qui restera du fait français en Amérique du nord. ” (1)

Parfaitement raisonnable. Où se mélange le cynisme, l’intelligence historique de haut-niveau et l’absence d’âme (et d’imagination). Mais le Québec continua à refuser. Et ils sont toujours là, ils se battent avec une mauvaise foi tenace contre les imparables arguments de la raison et de l’économie. Pour eux, la langue n’est pas un “ véhicule ”. Ni un “ outil ”.

Il arrivera un moment où il faudra choisir. La logique à Trudeau, l’esprit munichois, cravacher pour perdre son âme ? Remplacer, dans la tirade à Trudeau, le Québec par la France ?

Dire non ?


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(1) Le fédéralisme et la société canadienne française, éd. HMH, Montréal 1967

 


 

Jacques Bertin