n° 174
juillet 2013

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Un été moyen

 

C’est la rentrée et mon lecteur sera probablement friand de savoir quelle fut, dans ces deux mois de canicule, ma vie culturelle. Je vais satisfaire son impatience. Après tout, mon cas est peut-être exemplaire...

Deux festivals de chanson. Un à Blanzat, dans la périphérie de Clermont-Ferrand, les Rencontres Marc Robine, amical, chaleureux, passionné. Puis son frère aîné : Chansons de parole, à Barjac, dans le Gard. Ce village de 1500 habitants réunit chaque été, depuis 18 ans, un public d’aficionados. La cour du château fait tous les soirs ses 700 spectateurs. Entre autres charmes : pas de radios, de télés, d’attachés de com. et de chaubiseux rôdant dans les couloirs. Si vous voulez voir des stars et faire le débile avec des briquets, n’allez pas là.

Puis une journée à Avignon. Une journée - pas davantage : mon corps ne suivrait pas. Trop chaud, trop lourd, trop d’inconfort. J’ai vu trois beaux spectacles du off. Une pièce de mon vieil ami Gilles Costaz, critique théâtral (L’Ile de Vénus : sur une île déserte, deux naufragés...). Une autre (Le manteau, de Gogol) par un autre vieil ami, Guy Suire qui, ayant fermé le café-théâtre qu’il avait fondé à Bordeaux il y a 45 ans, s’est « offert Avignon », comme il dit. Et enfin, Les quatre barbues : un montage de chansons au quart de seconde, par quatre jolies filles qui chantent bien. Dans les trois cas, la salle est pleine et les gens ravis.

Cinéma ? Je n’y vais plus qu’exceptionnellement. Les raisons de mon désamour sont multiples. Parmi elles, il y a la (mauvaise) qualité du son, toujours trop fort, et l’écran toujours trop grand ; l’omniprésence de la publicité dans les salles ; et la très mauvaise diction des nouveaux comédiens français. Ce soir, un joli film (Le concert) en plein air sur les quais de ma petite ville. Le plaisir d’être entre amis dans la nuit d’été.

...Plus jamais de télé (ça s’est éteint en moi progressivement en dix ans ; aucun regret). La radio, uniquement dans ma voiture, lorsque je suis seul, quelques rares émissions : Jeanneney, Finkielkraut s’il ne parle pas d’Israël, Onfray s’il ne parle pas de l’Eglise catholique...


Et vos lectures ? Le livre de l’été s’intitule 1493. C’est un pavé (éd. Albin-Michel) d’un Américain (Charles C Mann) sur les conséquences écologiques, économiques, démographiques de la découverte de Christophe Colomb. Impressionnant.

(...Pour me reposer, j’arrache à ma bibliothèque quelques poèmes de Lucienne Desnoues, la belle fille ! Je me régale de sa sensualité, je déguste ses bons plats, je ris de ses trouvailles. Vive la poésie ! )

Dans ma chambre, à la tête de mon lit, Michéa m’attend. Michéa m’amuse – par son style (seuls ses lecteurs pourront ici me comprendre ; que les autres me pardonnent). Il m’amuse aussi par sa façon d’attaquer de front le monde parisianiste mediatico-intello, lequel se proclame de gauche alors qu’il n’est que bobo-lili. Les têtes de veau se vengeront un jour, pensais-je jusqu’à hier ; on ne peut impunément s’en prendre à l’hypocrisie centrale ! Eh bien, ça y est ! Ce matin, un journal m’apprend que c’est commencé : Michéa serait en réalité un homme de droite et caetera (« à l’heure de la montée des nationalismes et de la xénophobie »). Je suis de ton côté Michéa.

Voilà. C’était l’été culturel d’un Français moyen. M’autoriserez-vous à vous parler aussi d’histoire locale ? J’ai ce matin sorti d’un classeur des pages photocopiées qui m’ont mis en retard pour cette chronique. Voici l’affaire. Dans un lieu magnifique, près de chez moi, s’élève un monument glorifiant les héroïques soldats républicains qui, en 1793, ont préféré sauter de la falaise plutôt que de se rendre aux Vendéens. Bon. Malheureusement, l’histoire est fausse - c’est cela les pages photocopiées. Alors ? Devrait-on démolir le monument (il date de 1889) ? Non ! Il suffirait de poser une plaque expliquant l’affaire ; l’histoire viendrait se surajouter à l’histoire. Mais là, vous imaginez le maire, qui hoche la tête et répond entre ses dents que Mmmm, faut voir. Ce qu’il voit, c’est venir les emmerdements : les bleus, les blancs, les rouges, les journalistes parisiens, les empoignades. Touchons à rien. Qu’ils continuent à sauter.

Belle chute, après tout.


 

Jacques Bertin