n° 179
janvier 2014

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Feu sur le haut du pavé !


 


Eh bien... Quels ont été les thèmes du centre-médiatoglotte, ces dernières semaines ?

...Encore et toujours, et lancinant, que « la France est dépressive »... Bah, il y a tellement longtemps que j’entends le haut du pavé dire que le peuple (le français) est ringard et la France nulle ! Pourquoi m’affolerais-je ? Oui, mais cela prend tellement de place, désormais, dans nos médias centraux, c’est tellement lourd, permanent, lancinant, cette scie... Allons, il faut tenter de l’expliquer ; en faire un sujet d’étude...

Quelques-uns - peu - s’en avisent et réagissent. Madame Marie-Françoise Bechtel (députée et ancienne directrice de l’ENA), dans Marianne (11 janvier 2014), parle de la «  spécificité française qui tient surtout à la détestation des élites envers la nation » : « les élites françaises ont honte de la France ». Nous sommes d’accord. Et Laurent Joffrin écrit dans l’Obs : « On finit par se demander si une partie de l’élite, au fond, ne souhaite pas l’échec de la France » (5 décembre 2013). Puis : « Les membres de la classe dirigeante, depuis longtemps, ont cessé de croire en leur pays ».

Pour moi, ce qui est étonnant, c’est que ça ne fasse pas plus de réactions ; que l’affaire semble entendue, que toute la classe parlante trouve ça normal... Là est le (gros) problème. Très gros...

On pourrait (personne ne le fait) s’interroger sur les raisons historiques de la détestation antipopulaire des classes supérieures ! Certes, il y a que, dans la période de l’histoire économique actuelle, le pays, l’Etat (qu’ils nomment « providence », insulte aux pauvres ! Si je croise un éliteux qui emploie ce mot, je le gifle), l’Etat est à diminuer, réduire, puisque le libéralisme économique a gagné. Bon ; mais cette haine ne vient pas seulement des cadres économiques et des spéculateurs ! Il faut donc continuer à chercher la raison.

En voici une. Quoique n’étant sociologue ni historien, mais ayant vécu jour après jour dans les milieu de la parole depuis un demi-siècle, j’ai assez souvent rencontré l’intellectuel français-type. Vers mai 68, les intellos sont, beaucoup d’entre eux, partis comme des gosses à Mobylette vers l’extrémisme (stal, trots, mao...) sous prétexte de fatalité historique (ça se passera comme ça, mon vieux, le marxisme est une science !)

...Puis, plus tard, leur évolution politique. Et les voilà dans les pouvoirs, médiatiques, universitaires, éditoriaux. Et la question est : pourquoi ça ne s’est pas passé comme ça devait ? C’est pas de notre faute... Donc, c’est que le peuple n’a pas été foutu capable d’être conforme à ce qui était prévu ! Il faut bien un coupable : c’est le peuple français. On va lui remonter les bretelles : la France moisie, le repli sur soi frileux, l’extrême-droite et caetera. La nullité du peuple, ça explique pourquoi j’ai raison d’être où je suis. La haine du peuple n’est au fond qu’une vieille aigreur. La France, c’est ce machin qui n’a pas répondu à leur attente : le peuple français – car tous les autres peuples sont admirables et émouvants. Et c’est pour cela que, si je dis que j’aime la France, je ne suis pas loin, à l’heure qu’il est, du dérapage pré-fasciste. Nous en sommes là. Sinistre.


Mon deuxième sujet, aujourd’hui, c’est ce rapport rendu public récemment, qui affirme qu’en France, la culture est une force économique ! Bon. La culture comme moteur de l’économie, on connaissait ça depuis que les mairies ont sorti l’argument (un théâtre ça attire les cadres, donc c’est bon pour notre ville !) Ce n’est donc pas cela qui est une information. L’info, c’est : 1) Personne pour relever l’énormité de cette thèse ahurissante : l’abrutissement, la musique d’ambiance, les tubes à consommation obligatoire, la télé merdique, c’est de la culture ! C’était donc ça, l’exception culturelle ? 2) Je n’ai entendu aucun commentateur protester pour développer une autre conception de la culture. Un silence sidérant ! Les Vilar, les Lagrange, les Jeanson, les Puaux, les militants d’aujourd’hui ? Ils se terrent.

Nous sortons d’une époque où la culture c’était la volonté d’émancipation, individuelle et collective, le désir de faire un peuple, un peuple d’égaux, de citoyens, informés et cultivés. La foi dans l’émancipation (individuelle et collective) par la culture a été remplacée par 1) le festif, 2) la mystique du « créateur » qui doit s’exprimer et qu’il faut aider sans commentaire, 3) aujourd’hui, l’économie ! Cela expliquera au passage pourquoi la lutte contre le chaubise (massification et manipulation des comportements de consommation culturelle) n’a jamais été commencée par le monde intellectuel, artistique, universitaire, culturel.

...Et, ainsi, les gens du haut du pavé peuvent mépriser le ruisseau sans qu’on réagisse : de toutes façons, ce pays ne mérite pas d’exister !

...Bon. La destruction du peuple comme programme pour l’intelligentsia, ça suffit.

Et si la France cessait de broyer du noir ? interroge un éditorialiste. Eh bien, chiche. Comment faire pour s’attaquer à la détestation qui vient d’en haut ?

Feu sur le haut du pavé ! 



 

Jacques Bertin