n° 183
juin 2014

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Taubira pas Debré !

Ah, mes amis, quel charivari que l’affaire de la Marseillaise et madame Taubira ! Et comme je me suis senti proche de notre ministre ! Résumons à l’intention des générations futures : un immense raffut médiatique est né et à vécu quelques heures du fait que, lors d’une réunion publique, madame Taubira, ministre, n’a pas chanté l’hymne national, se contentant de l’écouter respectueusement.

Ce que j’en pense ? La stupidité des attaques n’a d’égale que celle des médias, qui se sont essoufflés à reprendre, sans respirer, cette « information » absolument sans intérêt. 

Mais sourions un peu, avant d’aller au fond du sujet. Les gens de ma génération ont en mémoire cette scène où Michel Debré, Premier ministre de de Gaulle, « interprétait » la Marseillaise d’une façon atroce (disons plus martienne que martiale), comme une sorte de dérapage en patins à roulettes, tandis que la France s’écroulait de rire sur le carrelage. Oui, c’était irrésistible – et l’on imaginait les ennemis de la nation rebroussant chemin devant cette infranchissable barrière vocale... Beaucoup d’hommes politiques ont dû se dire, ce jour-là : on ne m’y prendra pas ! Et ils se sont mordu les lèvres pendant deux générations. Les médias d’aujourd’hui, s’ils avaient été malins, auraient rediffusé ce gag sensationnel.

La leçon en est qu’il vaut mieux parfois s’abstenir, par prudence, lorsqu’on n’est pas sûr de ses qualités vocales.

(...Tout comme Gainsbourg aurait du s’abstenir, par ailleurs de sa « version » : ridicule, pas d’autre mot.)

Ridicule, aussi, d’habitude, le recours à la cantatrice de service. En principe, ça donne : « allozafa dula pati-i-iü – lu jou du glow itte ahiviii... » Dans le même registre, on se souvient d’avoir, lors des festivités de 1989 sur les chanzelles, entendu une chanteuse mondialement connue massacrer Le temps des cerises (« Kaaa voooos aaaa sehiiiiii – ô taaaaa diii suuuuhiiiiz... »), accompagnée par un accordéoniste manifestement navré, qui faisait ce qu’il pouvait, derrière...

Mais, ceci dit, allons au fond. Nous féliciterons Edgar Morin pour avoir publié dans le Monde (18 mai) l’intégralité du texte de l’hymne. Rien de scandaleux, la Marseillaise est datée, voilà tout, écrit-il justement ; c’est un hymne de combat, d’éveil et de résistance à l’invasion.

Ca n’empêche que je ne l’ai jamais aimé, ce texte ; et j’ai toujours trouvé que je serais indécent à le chanter, moi. Trop réservé, trop pudique, mettons... Mais ça ne m’empêche pas non plus de respecter ceux qui l’ont porté. Par exemple, mes deux grands-pères, mobilisés pour quatre ans de tranchées en 14 ! Ou les parents d’une amie, résistants ; ou encore un vieux copain qui fut « rappelé » en Algérie : si moi je ne ressens rien, eux peuvent y attacher des noms de morts au combat. Je lève mon chapeau.

Je trouve vulgaire de le chanter dans les stades de football. Je suis choqué qu’on le dégrade, le ridiculise, le moque ou le siffle ; mais je ne suis pas non plus pour la loi (de 2003) qui punit l’outrage à l’hymne national car je suis, par ailleurs, pour le droit à la connerie. Dans les manifestations officielles, tout simplement, j’estime qu’il est bien d’écouter la Marseillaise en silence et immobile. C’est ce que je ferais si j’étais ministre. C’est ce que je fais, comme citoyen. Mon silence affirme alors mon adhésion à la démocratie, à la république, à l’Etat, mon respect dû à la longue cohorte qui m’a précédé. Mais l’idée de rendre l’interprétation ministérielle obligatoire est grotesque. Enfin, j’ajoute que si la ministre se tait, je n’ai pas à connaître ses raisons. Elle n’a aucune obligation de les donner.

Et maintenant, si vous avez à attaquer madame Taubira, faites-le plutôt sur un thème politique.

Et enfin, enfants de l’apathie, n’oubliez pas que le jour de gloire est à Rive-de-Gier !


Finissons en riant. Proposons au lecteur un jeu. Chacun de nous a dans sa tête quelques phrases publiques particulièrement idiotes, prononcées ou écrites, hier ou jadis, par des vedettes du système. Le jeu que je vous propose ici est d’en dresser un palmarès. Puis d’en rire. Une manière possible d’aborder le sérieux par la face de l’humour, moins abrupte. J’ai beaucoup réfléchi ; voici ma liste.

Les phrases les plus cons que vous connaissez ?

- « Un anticommuniste est un chien ! », du fameux Jean-Paul Sartre...
- « J’ai retourné ma veste quand j’ai vu que l’envers était en vison ! », du célèbre Serge Gainsbourg...
- « Si, à 50 ans, on n’a pas sa Rolex, on a raté sa vie ! », de l’inénarrable Séguéla...
- « Tout le pouvoir aux Créateurs ! », de Robert Planchon...
- « L’intelligence, en France, est d’autant plus forte qu’elle est exceptionnelle... », de l’insurpassable Philippe Sollers...

Et, tiens, si on décernait une fois par an un prix à la phrase la plus con de l’année ? Au travail ! 


Jacques Bertin