n° 184
juillet 2014

Index des articles

 

 

Questions d'images


Hélène Cadou est décédée le 21 juin, à Nantes. Elle était âgée de 92 ans. Cette femme, pour des milliers de personnes, était beaucoup plus qu’une talentueuse poétesse : elle fut l’épouse, l’inspiratrice, le grand amour de “ René ”, mort, lui, en 1951. Depuis lors, elle était fidèle. Une femme exceptionnelle, disaient tous ceux qui l’ont rencontrée (j’en fus). Elle rayonnait. Elle était déjà dans la légende – ou plutôt dans le cœur des lecteurs ! Une princesse en poésie. Et vous, si vous ne connaissez pas l’histoire, bougez-vous. Ce n’est pas la grande presse centrale (1) qui vous en parlera ! J’y ai cherché ces jours-ci en vain les articles sur Hélène. Il est vrai que Cadou lui-même, un des plus grands poètes du siècle, est inconnu de l’intelligentsia bavarde. Et ce qui est extraordinaire, c’est qu’il a des dizaines de milliers de lecteurs ; que ces livres sont sans cesse réédités depuis cinquante ans ; qu’on se les passe de main en main... Ca va continuer. 


La mairie de Paris l’annonce : Un “ centre culturel Hip-Hop ” va être créé en 2015 dans le quartier des Halles. Surface : 1400 m2 ! Nous, les gens du milieu de la chanson hors-chaubize, nous recevons cette information comme une nouvelle insulte...

Personnellement, je ne m’intéresse pas au Hip-Hop. Mais je ne souhaite pas fusiller ses amateurs ; chacun a droit à ses goûts. Je veux simplement comparer ici le sort du Hip-Hop et l’absence de sort réservé, depuis toujours, par la ville de Paris et en général tous les pouvoirs publics de notre pays, à la chanson - celle qu’on nomme française pour se mettre et la mettre à distance. Il est terrible de savoir que, pour la chanson, la politique municipale est d’une nullité à peu près absolue : le Centre de la chanson est un lieu minuscule (lorsqu’il y a vingt personnes dans la salle, c’est complet – je vous jure !) ; et la Manufacture-chanson, de même.

Ah, Madame le maire, il est vrai qu’il ne s’agit que de la chanson, un art immémorial - et qu’on peut donc oublier. Intéressez-vous plutôt au Hip-Hop... J’ai trouvé ceci sur un site internet de la capitale : “ Le Hip-Hop est aujourd’hui reconnu partout dans le monde comme un mouvement culturel majeur et transversal touchant à la fois au chant, à la musique, à la danse, aux arts graphiques et plastiques, à la poésie, au cinéma… ”. Tandis que la chanson, elle, n’est pas un mouvement culturel majeur et transversal... A peine si elle est multiséculaire... A peine si elle touche tout le monde... A peine si vous avez les larmes aux yeux, madame, en écoutant celle-ci ou celle-là, un jour de solitude ou un soir d’amitié...

Argument justifiant le nouveau centre : “ Si depuis l’émergence de ce mouvement il y a 30 ans, le public Hip-Hop n’a de cesse de s’élargir, force est de constater qu’à Paris, comme en France, aucun lieu d’envergure n’y est entièrement dédié. ” Mais la chanson non plus et depuis bien plus longtemps ! Madame, ce n’est pas de faire un lieu pour le Hip-Hop qui ridiculise votre politique culturelle ! C’est de n’avoir jamais commencé à penser à la chanson !


Je ne m’intéresse pas du tout à l’actuelle coupe du monde de football. Cela ne m’empêche pas de m’amuser du regain de nationalisme-anodin qui parcourt la France, ces temps-ci. Habituellement, le nationalisme français est considéré comme ringard et même potentiellement nazi. On savait depuis quelques décennies que toutes les nations sont formidables et ont bien raison : les Anglais, les Etats-uniens, les Israëliens, les Palestiniens, les Klamouks-du-sud et les Kurdes, ces jours-ci ; ils sont bien émouvants en chantant leur âme éternelle. Il n’y a que les Français qui soient méchants.

Moi, je trouve tout bonnement que cette vieille bagnole, la nation, peut encore rouler si on ne la transforme pas en voiture de collection ; alors, pourquoi la mettre à la casse ? Parce que les enjoliveurs ne sont plus à la mode ? Voilà le débat lancé... Or le nationalisme footistique ne débat pas, il hurle dans les rues et les médiateux le trouve bon-enfant. Attention, dès la fin de la compétition, le nationalisme retournera à son statut : une très belle chose ailleurs, une très vilaine ici.


Mais restons dans le nationalisme gentil. Quelques mots sur la guerre économique... (L’économie, c’est le seul sujet sur lequel on peut être patriote sans se faire insulter). Il faut “ renforcer la mobilité étudiante ”, écrit un journal. C’est quoi, la mobilité étudiante ? Voilà : il s’agit d’envoyer nos enfants faire des études loin. C’est bon pour l’économie. Eh bien, vous aurez vos petits-enfants à quinze heures d’avion ; vous les verrez tous les deux ans ; ils vous diront “ bonjour madame ”, “ bonjour monsieur ” ; et vous serez fiers d’avoir œuvré pour la modernité de la France. Tout de même, il est étonnant que cette avancée - parmi d’autres - dans la destruction de la famille n’effraye personne, d’un point de vue anthropologique... Mais que pèse le modèle familial devant l’économie, ce nouveau Dieu ?

- Quoi, Bertin, vous voulez tuer notre compétitivité, c’est ça ?


Oui, le combat anti-ringard est une cause majeure dans ce pays. Il est amusant de savoir que le mot a son origine dans le métier du spectacle : un ringard était un mauvais comédien. Et le ringardisme est bien une (anti)valeur de la société du spectacle, la société d’aujourd’hui : il est important d’avoir l’air, de soigner son image... Allons, quant à moi, ringard je suis, ringard je reste ! Il suffit de ne s’en préoccuper point...


Tiens ! Une idée ! Voici un passionnant sujet que, sauf erreur, aucun historien n’a jamais traité : l’histoire des jeunes révoltés d’hier devenus plus tard cadors de la société. Ce serait passionnant d’observer ça ! Gauchistes, trotskistes, maoïstes, staliniens, leurs paroles, leurs écrits, leur attitudes, leurs virages, leurs justifications, leurs nouvelles “ rebellions ”... Sur un ton amusé, bien sûr, voire moqueur. Des noms ! Des noms ! Ca ferait un best-seller, à coup sûr ! Et moi, réformiste de toujours, mon commentaire in petto serait aujourd’hui comme jadis, à l’intention des banquiers, grands marquis, grands bourgeois, ou fricards nouveaux que j’ai connus révolutionnaires intraitables :  - Je suis bien plus révolté que toi, pauvre con ! 


(1) Excepté Ouest-France, mais justement, quoique le premier journal de France, il n’est pas de cette “ presse centrale ”...


Jacques Bertin