n° 191
avril 2015

Index des articles

 

 

Des mots sans suite...

Education populaire. Non, ne partez pas ! J’étais dans mon auto lorsque soudain - sans aucune préparation média... - j’ai entendu madame El Khomri, Secrétaire d’Etat, déclarer à la radio qu’à cause de l’état des banlieues, il faudrait relancer l’Education Populaire... J’ai failli aller au fossé ! Stupéfiant ! Ce mot qui remonte au jour après plusieurs décennies de placard ! Puis un autre ministre (je n’ai pas noté son nom) a employé, le même mot, lui aussi, retranscrit par les médias tel quel, malgré son côté dangereusement ringard... Je n’en reviens pas.

 
Ah, il est loin le temps où une grande partie des élites intellectuelles, artistiques et politiques (des « militants », on appelait ça) y croyaient et constituaient un mouvement, une masse, une vague. Le temps des scouts, des pionniers de la décentralisation théâtrale, de l’action culturelle, des socio-culs, le temps de croire dans le peuple ! Le temps où on pensait que le progrès de tous dépend du progrès de chacun et inversement. Mais 68 est passé par là (l’abandon du peuple par les 68tards déçus qu’il n’ait pas marché dans la révolution). L’élite intellectuelle et artistique s’est installée dans le haut du panier. L’intelligeoisie a perdu de vue ces beaufs toujours disposés au populisme.

L’éducation populaire est une affaire de foi, de foi commune et ce ne sera pas facile de relancer la foi. Sans compter qu’il faudra se faire expliquer des mots étranges comme : Les-hauts-la-grange, aimejicées, sauciauquü... Et aller se perdre au delà du boulevard périphérique ! Pour le moment les médias n’ont pas réagi, semble-t-il. Ils sont en train de chercher fiévreusement ce que peut signifier : (je vous le réécris) éducation populaire...


cachets d’artistes. Un des grands tabous du XXème siècle est le montant des cachets payés aux artistes dans les lieux de spectacles de l’institution publique (Scènes nationales etc.) C’est la loi de l’offre et de la demande qui règne là, le libéralisme intégral. On n’a jamais entendu dire qu’aucune limitation aura jamais été suggérée par les autorités supérieures – même au nom de la crise actuelle qui touche, à la porte à côté, toutes les associations. La limitation obligatoire des cachets serait un acte de salubrité (de morale) publique. Elle contribuerait en outre à ouvrir la palette artistique et, en permettant d’organiser beaucoup plus de spectacles, apporterait du travail à un nombre plus important d’intermittents... Bref, favoriserait la création...


économie. L’économie, elle est malade ! Bon, d’accord. Faudrait que les Français se remette à bosser ! Bon, d’accord.

Mais on peut aller plus loin. Par exemple, on a calculé le temps perdu à se poser des questions inutiles à l’économie : c’est énorme ! La philosophie, la poésie... Au lieu de bosser !

De même, le fait de se tourner exagérément vers le passé - célébrer des anniversaires, faire un tour au cimetière... - étant susceptible de nuire à l’économie, de tels actes pourraient (devraient ?) devenir un délit. Se moquer de l’économie, bien sûr ; tant il est vrai qu’introduire le doute, c’est criminel, si l’on considère la compétition internationale ! Résister à la publicité, donc traîner les pieds, pourrait aussi constituer un délit. Et rouler trop lentement sur les routes (on a paxaafère !)...


radio. Je crois que vous n’allez pas me croire : j’ai entendu une chanson en langue nationale française sur France-Inter !

La récente grève de Radio-France a offert à l’anglais cette chouette nouvelle victoire (victory) : un fleuve presque ininterrompu de chansons dans cette langue. Cette radio, je l’ai surnommée Radio-Fouance, grâce à qui je connais maintenant plusieurs mots indispensables comme : sunshine, my love, morning, my life, travel, on the road, tonight, maillatte, chadause... Bref, ça a été du délire, pendant tous ces jours et nuits de matraquage (matrakaging). Au passage : somme colossale de droits d’auteurs envoyée aux angliches ! Et notre balance des paiements ? Bravo ! Vous y pensez ? Abandonnée toute seule sur le quai comme une orpheline et qui pleure à chaudes larmes en appelant au secours ! Quelle tristesse...

Oui, mais faut nous ouvrir à la culture du vainqueur ! Et Radio-Fouance, qui n’irait pas jusqu’à programmer du folklore français, non, a tout de même laissé passer un classique archaïque de 1960. En langue nationale française, je te mens pas ! Sais pas pourquoi. De l’humour, peut-être ? Du décalé ?


théâtre. Sérieux, maintenant. Une novation dans la culture : les théâtres de grange qui se multiplient en province. Tel paysan retraité transforme sa grange inemployée ; un autre son garage ; on met cinquante, quatre-vingt personnes... Il me semble que le Québec fut pionnier dans cette affaire avec les « théâtres d’été » des années soixante... Le bénéficiaire aujourd’hui, c’est la chanson. L’appropriation de la culture par les gens, quand l’Institution est défaillante...


le monde nous échappe ? Ca va trop vite et en plus de ça, ça accélère sans cesse ? L’accélération comme avenir ? Comme présent ? Amis, contre les catastrophes où la contemporanéité nous entraine, trainons les pieds ; la mauvaise foi est tout ce qui nous reste pour sauver le monde. La modernité, c’est comme la clim’ : il nous faudra quelques décennies pour apprendre à gérer pépère cette invention qui nous fait un repas du dimanche glacé au restau - ou une angine dans le train à chaque fois...

Quelques décennies ? Mais la modernité est une bousculade. Une invention tous les trois ans ? La suivante sera dans trois mois ; l’autre dans trois semaines. Le moment de l’implosion s’approche et les enthousiastes continuent – car ils ont confiance dans l’avenir (l’avenir, qui dure trois semaines, trois jours, trois minutes...). Nous sommes quelques-uns à braver le moderneusement correct, qui cherchons désormais comment ralentir. Et c’est comme contre l’invasion de l’anglouille : il nous faut nous armer de mauvaise foi ; c’est devenu notre seule arme... Traîner les pieds devient une ardente obligation. Pour sauver l’avenir (le vrai)...


Panthéon. Il n’y a pas assez de femmes au Panthéon, il paraît. Ni de pauvres, d’après moi. Et je rêve d’y voir le Brave type inconnu. Vous imaginez le débat, au moment du choix, dans les journaux... Bourvil ? Fernandel ? Moi ? Mais moi, mon Panthéon est décousu... 



Jacques Bertin