JACQUES BERTIN
30 juin 1986 | "Ce qui me chante" Trente titres d'hier et d'aujourd'hui par Jacques Bertin Un tour de chant en forme d'astuce. Jacques Bertin sera ce soir, à 22h30, sur la place du Parlement pour proposer "ce qui lui chante". Un spectacle original, déjà présenté au dernier Printemps de Bourges, fait de quinze de ses propres chansons et d'autant de titres classiques du répertoire. Avec des noms aussi divers que ceux de Fauré, Sully Prudhomme, Ferré, Giraudoux, Aragon, Brel, Gougaud, Baudelaire ou Fanon. "Les chanteurs aussi bien que le public sont chantés par quelque chose qui vient du dehors, qui les traverse, c'est-à-dire l'histoire de la chanson", constate-t-il. En même temps, à une époque où "on est censé avoir tous des idées et des goûts communs", il juge bon de se retremper dans ce qu'il appelle le patrimoine de la chanson: "On ne peut pas faire un travail contemporain si on ne possède pas ce qui a été fait par le passé". Ses propos ne devraient pas surprendre. Ils sont empreints de sagesse, de bon sens, d'évidence. Il y a pourtant le sentiment de cultiver le paradoxe dans un monde de la variété très frileux et passif. Parce que son franc parler lui a sûrement joué quelques mauvais tours, il préfère garder pour lui certaines de ses idées en continuant à travailler selon ses convictions, et toujours pour son plaisir. "Le patrimoine ne peut exister que si on le travaille, si on le met en valeur." C'est ce à quoi il s'attache avec la chanson: "La France a été en avance sur tous les pays du monde pour la chanson d'auteur. Il y a un réservoir énorme qu'il ne faut pas laisser s'éteindre." Sans aller au-delà des années trente ("je ne veux pas remonter au folklore"), il dénombre un bon millier de chefs-d'uvre dignes de figurer au répertoire national: "Ce n'est pas énorme si l'on songe que 40 000 chansons sont déposées chaque année à la SACEM." Il n'avait donc que l'embarras du choix. Mais des contraintes ont pesé: "Il fallait que ces chansons puissent être réorchestrées: je chante avec dix musiciens." Quelques titres se sont éliminés d'eux-mêmes: "Il y avait des mélodies ravissantes, que j'adore, mais sur des textes désuets." D'autres, enfin, sont trop marqués par un créateur: "J'aurais voulu reprendre L'âme des poètes. Trenet en a fait quelque chose de magnifique. Je n'aurais rien apporté de mieux, ni même de différent." Dernier critère de sélection dans ce tour de chant: "Il y a des chansons magnifiques pour le disque. Sur scène, elles n'ont aucune dramaturgie. Je les ai rejetées." Mais que personne ne s'y trompe, Jacques Bertin ne verse ni dans le rétro, ni dans la nostalgie: "Je ne fais pas entrer les spectateurs au musée." Ces musiques ont été remises au goût du jour pour bien mettre en valeur ce qu'elles ont d'éternel. Et peu lui importe si, une fois encore, il se sent un peu seul sur la route qu'il emprunte: "Nous sommes quelques-uns seulement. Incompris pour un courant majoritaire qui ne sent pas l'intérêt de cette démarche." Quelques-uns peut-être, mais pas les moindres: "Il y a quarante ans déjà, Félix Leclerc affirmait: Je ne suis pas un chanteur, mais un homme qui chante. Voilà qui dit tout sur la chanson." |