Le Soleil
(Québec)


16 février 2007

 

JACQUES BERTIN
Le chant d'un homme

 

L’existence de Jacques Bertin se confond à l’histoire de la chanson française qu’il incarne depuis 40 ans. C’est dire qu’il est à la fois riche de passé et pauvre d’avenir. Pour le présent, la bêtise triomphe et la poésie se meurt. En France, la chanson n’a plus voix au chapitre.

Cette triste constatation ne fait pas rimer Bertin avec chagrin. D’humeur chaleureuse, en cette semaine de froidure au pays du Québec qu’il visite pour la 20e fois, il vient nous présenter un DVD qui raconte son histoire, qui se fond à son art. Le Chant d’un homme, un documentaire de Philippe Lignières et d’Hélène Morsly, sera projeté à L’Intendant, le lundi 19, à 20 h, suivi d’un minirécital.

C’est son vieux copain Pierre Jobin qui l’accueille et le guide à Québec, une fois de plus. Dans le documentaire, Jobin s’annonce d’ailleurs comme «un accro de Bertin». À Québec, il n’est certes pas le seul...

Ce grand de la chanson, récipiendaire du Prix de l’Académie Charles-Cros dès son premier album, en 1967, est devenu un grand méconnu, comme tous les vrais auteurs-compositeurs-interprètes de chansons en France. «Aucun artiste ayant un discours différent, original, ne peut parler en France, où règne un conformisme nouveau. C’est dire que plus que jamais, je suis du côté de ceux qui n’ont pas la parole !» Extraordinaire pour un homme dont la poésie est classée trésor national...

Bien sûr, dans son autre identité de journaliste, Jacques Bertin ne s’est pas privé de dire ce qu’il pensait de «l’industrie», qui a très peu à voir à voir avec la vraie chanson. Il a d’ailleurs publié au Seuil un essai dont le titre dit à quel point les gens de l’industrie se moquent de chanteurs comme lui : Chante toujours, tu m’intéresses, ou les combines du show-biz.

Mépris réciproque

Moqué par l’industrie, le chanteur est snobé par l’élite, écrit Bertin dans Reviens Draïssi !, un recueil d’articles paru tout récemment : «Dans la culture française, la chanson est l’art le plus méprisé.»

Ce mépris est réciproque, comme on le constate dans Le Chant d’un homme, alors que Bertin se souvient comment, à 20 ans, il avait ignoré les propositions du «clown» Eddie Barclay : «Il me déplaisait, ce représentant de la bêtise et de la connerie du show-biz du temps de Salut les copains !»

«Chez nous, la chanson passe après tout le reste. Il y a de l’argent pour les théâtreux, les plasticiens et les autres, mais pas pour les auteurs-compositeurs-interprètes de chansons», renchérit-il, en entrevue.

Dans Le Chant d’un homme, Bertin évoque avec nostalgie la miraculeuse parenthèse des années 70, alors que des chanteurs libres comme lui pouvaient faire le tour de la France et trouver des «spectateurs qui y croyaient».

Puis, c’est le «désastre» des années 80, avec l’arrivée au pouvoir de la gauche : «Nous avons été trahis par la gauche, privés de tout moyen par la bourgeoisie régnante. Nous n’étions plus dignes d’exister.» Le disque s’est d’abord effondré, puis la scène a été désertée. Cela ne s’est pas arrangé depuis.

Et pourtant, Jacques Bertin «représente tout ce dont nous manquons : rigueur, silence, sobriété, fidélité...» affirme l’écrivain et critique Jean-Claude Guillebaud, dans Le Chant d’un homme. Cette essentielle fidélité, Bertin la proclame : «Toute la question est de ne pas trahir l’enfant que l’on a été, le jeune homme un peu stupide que l’on a été, l’amoureux un peu fou que l’on a été...»


Régis Tremblay