UnePorte.net
(Québec)
mars 2003

JACQUES BERTIN, l'album La Jeune Fille Blonde


Tout va trop vite! On ne prend plus le temps de rien, surtout de réfléchir, de s’arrêter sur le sens des événements, de la vie. Alors forcément, on ne sait plus toujours où on en est. C’est cette idée que suggère La Jeune Fille Bonde, le dernier disque de JACQUES BERTIN.

Attention, ce n’est pas ce qu’il dit du tout ! Cela n’a jamais été, en plus de trente années de carrière, son propos...

Son discours, à BERTIN, c’est la tristesse racontée avec une poésie riche, dense, raconteuse d’histoires souvent nostalgiques (La grande crue de 2001), celles de l’enfance et de la vie d’adulte, de la perte irrémédiable d’un amour. BERTIN, c’est la lucidité sans complaisance aucune (Le bonheur des autres), c’est la vérité et l’intégrité sans concession sur une musique qui se contente de l’essentiel.

C’est tout cela et beaucoup encore qu’on découvre en écoutant La Jeune Fille Blonde. Seulement, il faut en prendre le temps, l’écouter avec toute l’attention et la disponibilité que nécessite une œuvre d’envergure qui se situe au-delà des modes et du temps. Bertin, c’est la conscience du monde en majuscule…


Collaboration spéciale de Sillons le disquaire pour cet article.

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Gilles Chaumel
2003-03-04

 

Chorus
N° 42
Hiver 2002/2003

La jeune fille blonde

Bien qu'il s'inscrive dans une cohérence d'inspiration à laquelle Jacques Bertin nous a depuis longtemps habitués, ce nouveau disque (arrangé avec délicatesse par Laurent Desmurs : accordéon, claviers, percus et flûte) surprend à la première écoute. Non pour ce que disent les chansons où se déclinent la plupart des thèmes récurrents de l'univers poétique du chanteur, mais par le traitement assez inhabituel de la voix.

Bertin est, en effet, un chanteur capable de belles envolées lyriques, doté d'une voix souple et chaude, bien timbrée dans les graves mais pouvant escalader les degrés de la portée sans effort apparent. Or, ici, à plusieurs reprises ("La bonté", "La cheminée", "Prose des jours longs" ou "Chanson du retour"), il choisit d'adopter un timbre si grave, si profond, qu'on pourrait le dire crépusculaire.

Expression d'un choix esthétique délibéré et non reflet de cette usure inévitable qui, avec le temps, frappe souvent les chanteurs vers les sommets de leur registre ; car, l'instant d'après, parfois dans une même chanson ("La grande crue de 2001"), il retrouve sans peine la fluidité de ses aigus ("Les tonnelles", "J'ai cherché le secret des roses").

Comme toujours chez lui, il y a dans ce disque une tristesse magnifique. Une mélancolie venue de loin ("J'étais l'enfant qui courait moins vite/ J'étais l'enfant qui se croyait moins beau") et dont rien n'a jamais pu le guérir ("Le mal du monde est mon tourment"), pas même le fait d'écrire et de chanter ("Je chante, arme des fous, arme des saints"). Sous la douloureuse lucidité du poète ("Ma vie ne fut que cet échec du rêve"), se lisent d'incurables blessures : "Bien des gens que j'aimais se sont perdus". Sans doute le prix à payer pour ne jamais renoncer à être "L'homme qui campe à l'écart de l'époque/ Tisonnant ses doutes pour s'y chauffer"

Un grand, très grand Bertin ; ce qui n'est jamais peu dire.

Marc Robine

 

Politis
23 janvier 2003

"Le bloc-notes de Bernard Langlois"

La jeune fille blonde

La jeune fille blonde : se remet-on jamais de son enfance ? Pour Bertin, à l'évidence, non. Le dernier disque de notre vieil ami est un pur chef-d'oeuvre. Il vous faut l'écouter dans le silence, le recueillement, et l'écouter encore. C'est comme un phare, un fanal qui brûle au loin, dans l'océan de médiocrité de la chanson française. Qui dit la fidélité aux êtres et aux choses, à la vie, aux amours ratées, à l'honneur d'être un homme debout...

Comme on sait, Jacques Bertin a quitté ce journal, où il fut longtemps un chroniqueur apprécié. C'est que l'intransigeance du bonhomme n'est pas toujours facile à vivre ! Pour un papier un peu limite, que nous n'avons pas voulu passer [Vous pouvez le lire, parmi bien d'autres, sur son site], il a claqué la porte. Ça n'enlève rien au respect qu'on lui porte, ni à notre vieille amitié. Ni, surtout, à l'admiration que nous avons toujours eue pour son oeuvre poétique qui le range parmi les grands.

 

Bernard Langlois

 

Une autre chanson
N° 99
janv-fév. 2003

La jeune fille blonde

Loin de la grisaille mondialiste et de la chanson formatée, Jacques Bertin s'obstine à construire une œuvre où chanson et poésie se rejoignent et se fondent en un chant qui se déploie en dehors des modes et paraît de nature à défier le temps. Ce que confirment ce nouvel album "Velen" et seize chansons toutes de haute volée. Ainsi cette Prose des jours longs (une "prose" éminemment poétique) :

J'étais solitaire chaque jour un peu plus . J'aimais me taire
Je doutais de qui j'étais chaque jour un peu plus. Je guettais
Sur les visages de mon âge, la tristesse, ses sillons
La certitude aussi de la défaite intime …

Ou

Fallait-il donc aller en soi toujours plus loin pour rechercher sans cesse
Quelle âme dans quel taillis de moments sublimes ou de temps perdu

(La cheminée).

Ou encore J'ai cherché le secret des roses :

Dans le parterre des peut-être
n'ayant rien compris, pauvre amant
à toi, au monde, à l'âme, aux êtres
Vaincu. Vaincu. Pourquoi ? Comment ?

Vaincu, Bertin ? Certainement pas puisque cette lucidité désabusée nous vaut un chant d'une belle tenue aristocratique.

 

Francis Chenot

 

Politis
27 mars 2003

Sous le chanteur, le poète

"La jeune Fille blonde" de Jacques Bertin : des confidences émouvantes, une langue superbe.

Il y a des enfances que sa voix chaude a bercées, qui sont désormais des vies d'adultes. Parlant du cœur d'une génération qui a connu les années 1960, les chansons de Jacques Bertin trament un compagnonnage, au fil d'une autobiographie chantée. C'est la confession d'un enfant du XXème siècle qui nous prend à témoin des heurts de la vie. Des heurts qui ont bosselé la tendresse attachante et le fier aveuglement. Ami à l'humeur parfois distante, parfois épanchée, mais fidèle au rendez-vous de son humanité. Les retrouvailles du dernier album, la Jeune Fille blonde, sont ses mémoires d'outre-défaites, seize titres d'une grande élégance. "Ma vie ne fut que cet échec du rêve/ Je ne brûle plus, non : ce sont mes liens/ les sabots des armées m'ont piétiné sans trêve." Un souffle entre raideur et affection, pas une phrase qui ne soit banale, véritable leçon de solitude ! On l'avait quitté, Cyrano d'amour, pour une brune Merveille, qu'il ne parvint jamais à nous faire estimer, nous parlant plus de ses tourments que d'elle. Le vrai sujet était ailleurs. Nous partagions une blessure qui a "touché l'os", la quête du rejeton lyrique d'une génération où le Moi avait peut-être un peu trop de place. Mais l'attente est devenue identité. Zangra de l'amour, l'homme Bertin a veillé un désert des Tartares d'où ne sont venus ni les renforts ni l'ennemi.

Bien plus qu'un romantique décalé, il s'est découvert dans cet ermitage : "Je suis l'homme des cours du soir, du long halètement des lampes…", ouvrant un dialogue intime et inspiré avec lui-même, comme dans le merveilleux chant "Quand recevrons-nous des renforts, mon âme ?". Il y règne sur son silence intérieur, loin du temps de la jeunesse où il s'endormait glorieusement solitaire. L'énergie vaguement inquiétante d'alors a fait place nette. Jacques ne rattrape plus Claire dans l'escalier, Bertin attend désormais que la porte s'ouvre. Il ne hante plus les gares et les "Hôtels du grand retour", guetteur infatigable, il est "monté au lac des solitudes". Nostalgie persistante pour la simplicité d'une France historique, entre mairie et clocher. Ici couve, sous les derniers feux ruraux, la réserve d'un imaginaire ancestral, tracé comme un sillon dans la mémoire, mais déjà travaillé secrètement d'autres rêves hollywoodiens que notre héros n'atteint pas.

Cassé, comme une noix à la veillée, il révèle un cœur "âme avec des voiles" qui a résisté à l'hiver, s'en est même nourri. Sous l'amoureux aux illusions datées, apparaît alors une tendresse plus durable. Sous l'ambition, l'humanité. Sous une carrière contrariée, émerge une lyrique singulière, détachement sensible de celui qui, même à son corps défendant, a fini par se préférer. La confidence a remplacé la déclamation ; là où il s'exposait, il devient inquiet de transmettre. On le fredonnait, on peut simplement le lire. Sous le chanteur, le poète.

 

David Langlois-Mallet


Rétro-Viseur
N° 93

L'âme du poète, sa muse ?

"Nos âmes furent de neige/ Et ta tête aux chants d'oiseaux."


Une photo, jaunie, cornée, déchirée. Petite photo fripée dans les plis d'un portefeuille, et qui dormait là, depuis longtemps. Côté cœur.
Pas de celles oubliées au fond d'un tiroir, non. Une qui vous accompagne. Toujours. Comme une sorte de talisman. St Christophe contre le mauvais sort ou simple petit fétiche des amants. Une jeune fille. Blonde. Prise dans l'éclat de ses vingt ans. Coupe au carré, veste jacquard, chemisier sage et jupe courte. Années soixante. Une jeune fille, douce, sereine, épanouie, sourire aux lèvres et qui regarde vers l'avenir. Son (leur ?) avenir. Pas trop de face tout de même. Avec le flash, sait-on jamais…
Voilà. C'est sans doute la plus expressive et la plus mystérieuse à la fois, des pochettes de Bertin. Les amateurs apprécieront, qui en ont vu d'autres !
D'un coup d'œil on a tout saisi. Cru tout comprendre. Et puis, fatalement, on s'est trompé. Fatalement… puisqu'à nouveau se brouillent pistes et cartes. Car enfin, rien n'est simple.
Alors, qui donc est-elle cette jeune fille à l'heure d'être femme ?
Jacques Bertin, poète de la ferveur amoureuse, pudique et accessoirement ludique, cultive l'implicite tout en pratiquant l'esquive. Pour clore le livre en son dernier chapitre, il nous laisse peu d'indices. Comme dans toute son œuvre du reste. Et la partie de cache-cache recommence… C'est une de ses estimables richesses et de ses grandes perversités que cet art du suggéré, en vague connivence avec un interlocuteur constamment en butte aux rébus et autres énigmes. Rien ne se résout pourtant. Pas même par le truchement d'une géopoétique d'approche, entreprise à travers les lieux, ses femmes-paysages, ses mythes et ses mots.
Une vie comme une quête. Une somme d'impatiences. "La jeune fille blonde" s'y résume difficilement. Ici, Elle se prénomme France. Porte des colliers de "chemins creux, épelle sa (leur) souffrance, panse son mal, montre Au vieux pays fatigué/ Ses plaies, ses croûtes qui saignent".Elle ressemble, allégoriquement, à cette Marianne de "notre jeunesse ailée, fidèle compagne des luttes et des frondes, petite sœur en féconde révolte". A-t-elle jamais vieilli ?
Elle est un hymne qui monte par les sèves, par la houle des blés, par la rectitude des peupliers.
Les chœurs avec Elle nous élèvent, jusqu'au sursaut de joie finale, dans la gorge étranglé. "La joie, la joie plein la plaine/Et la jeune fille en mai !"

Retour à Chalonnes, Jacques Bertin, qui tenait à mettre des distances entre le parisianisme et lui, renoue avec cette inspiration ligérienne qui fut et restera son indélébile marque de fabrique, dans le voisinage fraternel de Rochefort.
Ces 20 chansons nouvelles disent l'enfance, inquiète et solitaire, ses premiers émois, patchworks de toute une vie. "L'enfant muet réfugié dans l'homme" en a pris, plus tard, son parti qui signe abruptement cet amer constat (pourtant une évidence de poète) : "J'écris dans le ciel vide et vous n'y lirez rien" (Le Rêveur). Elles disent aussi les grandes espérances et La fidélité jusque dans la peine, piègent la beauté le temps d'un pur éclat verlainien : "Je croisai ses yeux bleus ; et tout elle : / des sentiments d'enfant très sage, mais très grands" (Les Tonnelles). Elles disent surtout l'âge venu à pas lents, et mesurent le chemin parcouru.
Sombre bilan ! Encore et toujours cette dramaturgie ordonnée qui vire au catastrophisme : corps noyés, folie qui rôde, granges brûlées, terres submergées… C'est un jour d'errance sur les levées de Loire à déchiffrer l'oracle dans la débâcle des eaux. Tous ces remuements noirs, ces maëlstroms bouillonnants qui emportent la mémoire vers le grand collecteur des estuaires. "Routes barrées, berges perdues", on est là, seul, envasé dans les marnes. Empêtré dans ses doutes et ventousé au réel. Prêt à pourrir sur pied avec le souvenir d'un mauvais rêve. Ou d'un ange, peut-être. Comme là-haut, chez Cadou, où la tourbe des marais emprisonne les mortas brièronnes depuis des millénaires. Un jour elles échapperont à leur étreinte, pour venir chanter, du plus profond, sous les doigts de l'artiste et "des mots, comme un fléau, diront droit / dans l'haleine // tout ce que nous ne savions pas / que nous savions" (La Grande Crue de 2001).

 

Jean-Pierre NICOL

 

 

Lire aussi Tour intérieur (un article publié dans Voir - Québec, 11 décembre 2003, à l'occasion de la tournée au Québec).