Le malin plaisir de Jacques Bertin (14 décembre 2000)


 
De la poésie, puis des avions
 

 

Luc Bérimont. Quel bonheur de pouvoir reparler de Luc Bérimont! Il fut journaliste et producteur vedette de la radio nationale, de la fin de la guerre jusqu'au début des années 80. Il est décédé en 1983. Beaucoup de gens l'aimaient. C'était aussi, surtout, un poète. On publie enfin ses œuvres poétiques complètes, introuvables depuis longtemps. C'est pour moi un régal où je lis sa sensualité, son goût de l'amitié, des femmes, de la nature. Il y a surtout dans ce livre les poèmes de son séjour dans les vignes du Layon, pendant la guerre, avec une épouse juive et une inextinguible panique à mordre les mots et la vie. Ce tome I s'arrête sur un recueil de 1958. La difficulté qu'a eue la veuve de Luc Bérimont pour faire éditer ce livre indique la bêtise de notre époque. La postérité doit être prise à la gorge, on ne doit pas compter sur elle: l'aujourd'hui, bardé pourtant de systèmes de subventions, est aussi con que l'hier pour ce qui est de la reconnaissance des talents. Rien ne change. Mais tout de même ce livre est là, après une bataille de dix ans… Et maintenant, il faut espérer que les centaines d'artistes qui doivent quelque chose à Luc, les auditeurs qui s'enrichirent de ses émissions, et tous ceux qui aiment la poésie quand elle parle vraiment, rendront, en achetant celui-ci, l'édition des tomes suivants possibles.

Vol au-dessus d'un nid de cocus.

Notre société nationale d'aviation s'est bien moquée de moi, l'autre jour. J'avais un beau billet plein de petites lettres multicolores, que j'avais payé cher, et je croyais partir aux Amériques. Mais je suis resté bloqué 24 heures. Où ça? A Tombouctou? Pas du tout: à Roissy. La société avait vendu ce jour-là 350 places sur un avion qui n'en avait que 180, d'après ce qu'on nous a annoncé à l'heure même du décollage et alors que nous faisions la queue depuis deux heures et demie! Et nous sûmes plus tard que ce scandale durait depuis plusieurs jours. Un cas de grivèlerie caractérisée…

Et tu veux savoir jusqu'où ils poussent la perversité? Après une nouvelle heure de queue, ils m'ont filé deux mille balles pour que je ne casse pas tout dans l'aéroport! Preuve que tout ça est parfaitement organisé, qu'ils ont l'habitude. L'habitude, parlons clair, de ne pas avoir d'avion! Bravo l'avionneur. Puis on vous offre l'hôtel jusqu'à demain. Vous avez droit à un repas au restaurant de l'hôtel. On vous y met d'autorité à l'écart, en tables de vingt, avec menu obligatoire, comme des pensionnaires de lycée.

Mon problème est ici de me mesurer afin de ne pas risquer un procès en portant préjudice à cette société. Je l'appellerai donc, mettons, A.F. Dans la presse, on désigne ainsi les assassins par leurs initiales. Je me contiens. Pourtant, le seul moyen d'obtenir de la part d'A.F. du respect pour les voyageurs, ce serait de lui porter préjudice… Je conseille donc à mes lecteurs de ne plus jamais faire appel aux services de cette société, tout en leur recommandant de le faire, tant elle est bonne. Elle est même bien bonne.

Puis nous avons eu un avion. Et il volait, dites donc, à la surprise générale. Nous étions serrés, pas de surprise, sur des sièges rachetés pas cher, à Bétail-Air. Le reste à l'avenant: repas léger (forcément: question de poids. On a la chance d'avoir un avion qui décolle, s'agit pas de l'alourdir en bâfrant. Et puis on ne risque pas de sortir chercher un troquet…). J'ai été surpris de ne pas m'engloutir au fond de l'océan; j'aurais eu droit à un dédommagement, sans doute?

Poésies complètes (tome I), Luc Bérimont, Le Cherche Midi, Presses Universitaires d'Angers, 257 p., 118F.

Jacques Bertin