Le malin plaisir de Jacques Bertin (23 août 2001)


 
Rebelle imposture
 

 
Encore un "authentique rebelle" dans le cahier "culture" du journal que j'ai dans la main… Les authentiques rebelles ne m'impressionnent plus depuis longtemps. La société est habituée à prendre des coups de tatanes artistiques dans la gueule, elle aime ça, semble-t-il…

Illusoire… Tant d'artistes uniquement nourris à la subvention se donnent des allures d'"authentiques rebelles"! Et tous ces littérateurs "irrécupérables" qui sont des universitaires appointés à vie par l'Etat! Rebelles? Comparez donc avec le milieu ouvrier ou paysan! L'histoire de France montre que le milieu artistico-littéraire est l'un de ceux où l'on trouve le moins de révoltés. Parce que, rien à faire, quelle que soit l'époque, c'est toujours la classe dominante qui donne l'argent, et le désir de reconnaissance fait des générations de valets. Aussi, observez les positions dominantes aujourd'hui à Saint-Germain et vous trouverez les thèses -et les troupiers- dont la bourgeoisie a besoin.

Mais il existe des gens indépendants, honnêtes et courageux, oui. Pas des gesticulateurs. Juste des travailleurs sérieux. Et, tiens, je vais rendre hommage, en passant, à deux d'entre eux. Le premier, c'est Jean-Philippe Domecq qui, écrivant sur l'art contemporain dans Esprit, alla avec une incroyable détermination au devant des balles -je veux dire des ricanements et du risque de mort médiatico-littéraire. Redire ce que fut mon admiration lorsque je lus ces papiers où l'exigence de vérité s'alliait à un raisonnement implacable, l'occasion m'en est fournie par un roman qu'il publie (1), qui est comme son auteur: pointu et beau dans l'analyse psychologique et le scrupule. Mon second sera Guy Hennebelle, qui dirige l'excellente revue Panoramiques dont le sujet favori est, sous des façons diverses, le politiquement correct, anesthésiant de la France actuelle. Dieu sait si Hennebelle se fait mal voir par le quatrième pouvoir! Son indépendance intellectuelle et son honnêteté, voyez-vous…. Tenez, il a publié dans Le Figaro du 6 août une libre opinion sur l'Algérie -vous savez, la "repentance"- que j'approuve entièrement… Elle n'aurait sans doute pas été acceptée par nos journaux de gauche, où l'on a le débat mauvais. Et voilà qu'il sort un excellent numéro de sa revue sur la Corse et l'actuel processus que je dirai de maquignon (2). Ça n'arrangera pas sa réputation.

Finissons par Léo Ferré. Etait-il vraiment le révolté qu'on dit? N'y a-t-il pas eu dans son cas confusion avec certaines formes de mauvais caractère? C'est, justement, son côté gueulard épidermique qui me dérange. C'est que je suis un tiède, sans doute! Léo, je n'apprécie que modérément ses chansons "anarchistes", ses imprécations. Ses chefs d'œuvre sont ailleurs, et très nombreux, heureusement. Bon, ça ne m'empêchera pas de saluer tout de même les Cahiers d'études Léo Ferré publiés à Nantes. Cinq numéros sont déjà parus (3) dans une très belle présentation. Cette revue (peut-être trop axée sur le dithyrambe, toutefois) plaira aux fanatiques du grand Léo. Avait pas besoin d'être un authentique rebelle pour être un grand bonhomme, allez.

(1) L'ombre de ta peau, Jean-Philippe Domecq, Fayard, 180p., 98,40F.
(2) Bye bye la Corse ? dirigé par Pierre Tafani, éd. Corlet et Marianne, n° 53, 90F.
(3) Cahiers d'études Léo Ferré, éd. Du Petit véhicule, 20 rue du Coudray, 44000 Nantes (02 40 52 14 94).

Jacques Bertin