Le malin plaisir de Jacques Bertin (3 mai 2001)


 
Sorbonne et Panthéon
 

 

Il faut mettre Alexandre Dumas au Panthéon. Telle est la requête déposée chez le président de la République par l'écrivain Didier Decoin, au nom des membres de l'Association Alexandre Dumas. J'avoue que la nouvelle m'a d'abord laissé de glace. Et j'ai eu le sentiment que le Français moyen partageait cette indifférence. Or c'est justement cela qui m'attriste soudain. Est-ce que cette panthéonisation ne serait pas un peu un contresens? Et est-ce qu'il n'y aurait pas là un risque, disons, de dépanthéonisation du Panthéon?

Je vois bien ce qui, dans cet événement, pourrait tenter Jacques Chirac, habitué à prendre un peu trop l'histoire pour un roman de cape et d'épée (l'Arène Marigot, mettons…). Pour lui, tout ce qui peut faire ressembler les Grands Hommes aux héros de La Grande Vadrouille est bon à prendre, car sa dernière chance est d'être jugé par l'Histoire sur ses qualités de bretteur pittoresque.

Mais moi, Alexandre Dumas à côté de Jean Moulin, ça me gêne.

On nous dit que l'homme était très bien. Antiraciste, républicain, métis… Dans ces conditions, pourquoi pas Johnny Halliday? Johnny aussi est antiraciste; et il éprouve une aversion profonde pour le sida… Et lui aussi a beaucoup de succès! Sincèrement, il me semble qu'il ne faudrait pas confondre les Grands Hommes et les grandes vedettes. Parce que Walt Disney aussi est un bienfaiteur de l'humanité; le mettra-t-on à côté d'Abraham Lincoln en haut des marches du Capitole? Si l'on va par là, il ne faudrait pas oublier Jean-Paul Belmondo, qui aime beaucoup les caniches blonds, en plus du fait qu'il tournait des scènes dangereuses sans doublure! Et Bernard Tapie, qui permet de tout comprendre au football contemporain! Et Jean Robic! "Entre ici, Jean Robic! Avec ta cohorte de forçats de la route, de roues voilées et de guidons tordus!" Et Tino Rossi? Et le bourreau de Béthune? Bon. Le dernier transféré éteint la lumière et ferme la porte.

L'autre nouvelle prêtant à sourire, c'est que madame Elizabeth Tessier, la sémillante (1) astrologue, a soutenu avec succès en Sorbonne une thèse de sociologie qui lui a valu le plus haut grade de l'Université. Son sujet: "L'ambivalence fascination-rejet de l'astrologie". En sociologie, attention! Pas en sciences! Ça, elle s'en est bien gardée. Pas folle. Or, que la cartomancienne du feu président Mitterand plastronne (j'emploie ce mot à des seins), cela scandalise quelques profs sérieux qui la soupçonnent de vouloir ainsi légitimer sa pseudo-science. Je les comprends, mais ils ont tort.

Car la belle Elizabeth a, il faut le rappeler, parcouru, sur ses vaillants talons aiguilles, tout le cursus: licence, DEA et cætera. Cela impose le respect. Et d'autre part, ainsi que le font remarquer les membres du jury, rien ne permet de refuser un candidat au motif qu'il est par ailleurs un zozo caractérisé. Ou qu'il fera peut-être un mauvais usage de son parchemin (parce qu'alors, il faudrait récuser beaucoup de monde, on n'en finirait pas, ce ne serait plus l'Université, ce serait le ministère de l'intérieur…). Enfin, ils rappellent que les sujets dévalorisés sont, comme les autres, des sujets d'études. Bref, les gars, pas de quoi s'affrioler. Et quant à toi, Babeth, garde ton galbe.

(1) Le mot n'a aucun rapport avec la sémiologie quoique je soupçonne cette personne d'être également capable de sémiller à la maison.

Jacques Bertin