Le malin plaisir de Jacques Bertin (27 juillet 2000)


 
Employé du téléphone

Je vais vous faire une confidence: depuis un an je travaille au téléphone. C'est assez fatigant, vous allez voir. Il faut d'abord que vous sachiez que j'habite un quartier d'immigration. Et, tandis que dans vos arrondissements bourgeois vous devez courir des kilomètres pour trouver une cabine téléphonique, dans mon coin il y en a une tous les vingt mètres. J'en compte dix-huit entre le métro où j'ai mes habitudes et mon immeuble. Dix-huit, sur trois cents mètres. Dont quatre, en bas de chez moi; exactement à neuf mètres de mon lit. Là, on fait la queue pour parler au monde entier, à toutes les heures du jour et de la nuit. Qu'en déduire? D'abord, que l'immigration est nombreuse dans mon quartier et que ces gens sont très mal logés (pas de téléphone dans l'appartement…). Jusque-là, tout est normal.

Où le problème commence, c'est quand ils appellent la grand-mère: généralement à des moments que le décalage horaire rend pour eux valables. Cinq heures du matin, par exemple… Vous croyez que l'Etat français a prévu des locaux fermés pour permettre, "dans une société de communication", à tous ces gens de communiquer grâce à des fonctionnaires faisant fonctionner un service public ouvert à tous, à toute heure? Non. L'Etat français a justement choisi la politique inverse. Et France-teuleucon veut faire du pognon. Elle plante ses cabines chez les gens, sur mon oreiller. Et c'est ainsi que je me retrouve investi du statut de téléphoniste ouvert à toute heure.

Attention: les quatre cabines qui sont en bas de mon lit ne sont même pas fermées! France-teuleucon , certes, a vu le problème. On a affiché des avis: "Respectez la tranquillité des riverains, modérez votre volume sonore". L'hypocrisie est parfaite.

J'écris au maire. Il n'a certainement pas une quadruple cabine au coin de son lit. Alors il me fait une réponse dilatoire. Il me trouve mesquin, j'imagine. Je devrais être fier d'avoir été désigné pour incarner la privatisation du téléphone.

La revue Panoramiques publie un excellent numéro consacré à la démographie (1). On se souvient d'une récente querelle entre démographes sur l'utilité d'intégrer à la recherche les origines ethniques des gens. Jacques Dupâquier, qui dirige ce numéro, écrit que la démographie est devenue, en quelques années "le domaine de l'intolérance, du sectarisme et du fanatisme". Revoilà le politiquement correct, maladie du moment, appliqué aux sciences. "Le terme population de souche est devenu xénophobe et raciste, natalité un concept nataliste, natalisme, un concept spécifiquement français, lié au racisme". Le professeur Dupâquier dénonce "un système moral humanistariste qui ne veut connaître que les droits de l'homme et non ceux du citoyen". En effet, une certaine gauche passe son temps à indiquer des impératifs moraux et oublie d'une façon souvent comique ce qu'est la politique.

Coupable d'avoir intégré aux enquêtes des questions relatives aux fameuses origines ethniques, Michèle Tribalat est dans ce numéro. Je me bornerai à lui faire une remarque. Elle affirme, suite à une enquête par questionnaires, que la polygamie n'existe pratiquement pas en France. J'en suis ravi. Mais je doute qu'à la question: "Pratiquez-vous l'excision sur vos fillettes?", un système de questionnaires arriverait à autre chose que le chiffre zéro. Peut-être sont-ce là les limites de la démographie et de certaines méthodes?

(1) "Quand on entend démographie, faut-il sortir son révolver ?", Panoramiques n° 47, 3° trimestre 2000, éditions Corlet.

Jacques Bertin