Comment être un chanteur ?

par Morice Benin

 

 

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Comment être un chanteur ?

 

Une définition de notre art dans sa dimension morale, par Morice Benin. Ou encore : une Petite réflexion autour de l'acte de chanter, ainsi qu'il l'écrit lui-même. Ou encore : Comment vivre ce qui est à la fois un art, un métier et une vie ?

 

Je ne peux plus me mentir : je ne serai jamais célèbre ou populaire. Cette révélation ne m'indispose pas. Elle ne me plait pas non plus. C'est ainsi, je fais avec… Sagesse un peu douloureuse qui me fait accepter les limites de ce que l'homme peut consentir pour sa carrière d'artiste, et qui me tient à distance des grandes manœuvres de la gloire postulée.

Le seul fait de résider géographiquement loin de là où ça se passe, précise déjà ces limites : J'ai choisi de privilégier la petite vie : le rire de mes enfants ensemencé dans ma mémoire, la tendresse parsemée d'étoiles pour une femme, le sourire complice d'un ami. Intimes joies quotidiennes à découvrir, et qui ne tomberont pas du ciel… Parvenu à ce stade plutôt mûr de ma carrière, le "métier" ne m'attend même plus au tournant… il m'ignore affectueusement, en s'étonnant avec candeur que je chante encore : bibelot au musée des pousseurs de voix.

(…) Pour parvenir à entrer dans la compétition au succès, les règles du jeu me paraissent aujourd'hui encore trop compliquées, trop contraignantes… et il me semble avoir plus important à faire : vivre et chanter !

L'acte d'écrire et de chanter ce que l'on écrit prend racine dans un terreau à trois dimensions : l'expression de soi / l'acte artistique / le fait de trouver sa place dans l'échiquier social.

Il s'agit surtout d'accompagner sa démarche d'un engagement d'homme en prise avec la réalité de son époque, de cesser de considérer l'Art comme une tour d'ivoire ou un refuge, tout en demeurant d'une exigence extrême vis-à-vis de son artisanat. Difficile… car les canons médiatiques nous incitent soit à la marginalité puriste et rassurante, soit au mimétisme : manichéisme dérisoire ! Il y a cependant une alternative fragile, inconfortable, que j'expérimente depuis toujours…

Ce fut d'abord une voie empruntée par nécessité (les portes officielles étant bouclées, il fallait bien aller se faire entendre partout : MJC, Foyers de Jeunes Travailleurs, Maisons de quartier, Foyers Ruraux… chez les gens même !...). O ce bouche-à-oreille si fécond des années 70 à 80 !... Période bénie pour le maquisard que j'étais peu à peu devenu.

Par la suite, ce choix s'affirma jusqu'à devenir peu à peu mon unique moyen de diffusion : Je me suis souvent défini comme un chanteur tout terrain, m'adaptant à tant de situations parfois précaires, tout en m'efforçant de préserver la qualité technique du spectacle, garante de tout bonheur artistique.

(…) Dans ma vie d'homme ordinaire, je croise pas mal de gens sensibles à une certaine chanson d'auteur, qui n'ont presque plus l'occasion de la croiser… Il s'agit autant de survie véritable pour des artistes en quête d'oreilles que de fêtes de ferveur à partager avec un public qui s'ignore lui-même ! L'itinéraire à risque du chanteur de fond dans ce contexte, requiert une joie à chanter absolument irrésistible, une foi invincible de charbonnier, bref, de la joie, rien que de la joie en ne se leurrant ni sur les difficultés de ce parcours ni sur son aléatoire ! Offrez-vous le privilège d'être simple, disait le poète-visionnaire René Guy Cadou.


Morice Benin

in : L'homme qui se prenait pour un chanteur

Proposer un texte à la revue Les Orpailleurs