Prendre le maquis

par Philippe Forcioli
auteur, compositeur, interprète

Prendre le maquis

 

Le Printemps de Bourges ? J'y fus "Coup de cœur" en 1986, réinvité en 1987. Puis les goûts et les chansons changèrent et c'est en sortant en 1994 d'une soirée pitoyable (je chantais après un numéro "hard-porno féminin", amis de la chanson bonjour !) et voyant dans le caniveau des jeunes ivres et piqués à mort et les CRS goguenards assumant leurs rôles d'éboueurs sociaux sous le regard indifférent des amis de la culture que j'ai compris que le spectacle à grande distribution était un leurre.

Venez nombreux, il y en aura pour tous les goûts ! Fadaises !

Dans la macédoine de légumes, c'est toujours le goût de la mayonnaise qui domine et les petites valeurs simples que la chanson colporte depuis des temps immémoriaux, compassion, tendresse, amour ardent, recueillement, tout était balayé, interdit de fleurir.

J'ai quitté Bourges dans la nuit, "cap au sud", et j'ai pleuré jusqu'à Clermont-Ferrand. J'ai compris ce soir-là que ma demeure resterait le maquis et que, quitte à n'être qu'un navet commercial, je demeurerai au moins navet rare dans cette macédoine, navet au goût sans pareil : naturel.

Et puis la vie a passé, des milliers de kilomètres ont déroulé leurs rubans gris à mes chansons, des rencontres, d'autres concerts, d'autres joies, d'autres enthousiasmes, d'autres rêves. Il faut du temps pour comprendre et accepter les règles de ce jeu : le spectacle - tantôt foire aux bestiaux, tantôt arène à chrétiens, tantôt communion parfaite et accueil plus que beau. Peu à peu, une évidence s'installe ; aimer la chanson est une chose, en vivre en est une autre et la seule chanson qui me tienne en éveil chaque jour, chaque nuit, pardonnez-moi Prince, mais c'est la mienne.

Déformation professionnelle ? J'entends bien, mais j'écoute peu, excepté les compagnons de route, inconnus du grand public, les Michèle Bernard, Jean Duino, André Bonhomme, France Léa, Michel Barelier et d'autres et toujours le besoin de revenir à mes sources, à mes premiers enchantements.

Je me suis abreuvé jusqu'à plus soif des Brassens, Félix Leclerc, Giani Esposito, Jacques Bertin, Julos Beaucarne, Anne Sylvestre, Pierre Louki, Georges Moustaki, Paco Ibanez, Atahualpa Yupanqui et tous ceux-là de la poésie qui chante. Et c'est par eux et d'autres de leur ressemblance que j'ai osé me présenter devant l'autre, les autres, ce confidentiel public qui est le mien, clairsemé et fidèle, respectueux et exigeant mais qui connaît le mot d'ordre : tenir la lampe allumée et garder le silence.

Nous sommes en 2001, des journalistes de Paris me traitent de "poète authentique", ce qui n'est pas à proprement parler une insulte.

"J'appelle fou, qui dans ce monde artificiel reste authentique", clamait le fou Delteil ! Voilà la chanson que j'aime, la chanson rare, celle dont il faut briser l'os pour sucer la substantifique moelle.

"J'écris pour des oreilles poilues d'un amour obstiné qui saura bien un jour se faire entendre", chantait le doux Cadou et c'est bien pour cela que les âmes chantent, non ?

 

Philippe Forcioli, La Croix, vendredi 20 avril 2001

Proposer un texte à la revue Les Orpailleurs