Félix Leclerc et Henri Ghéon

Félix Leclerc et Henri Ghéon

 

Bien oublié, Henri Ghéon, écrivain chrétien célèbre avant guerre ! Une biographie vient de lui être consacrée par Catherine Boschian-Campaner (1). Ghéon était allé au Canada, en 1938. La biographe indique qu'une de ses œuvres avait été jouée à Montréal par les Compagnons de Saint-Laurent devant 200 000 personnes ! Il mourut en juin 1944. L'auteur de la biographie écrit ceci :

"Si la mort de Ghéon fait peu de bruit en France, elle suscitera de nombreux articles à l'étranger. Au Canada, les Compagnons de Saint-Laurent lui consacreront un volume entier, composé d'hommages chaleureux et admiratifs, comme celui du chanteur Félix Leclerc (2), qui adresse à l'écrivain une lettre pleine de reconnaissance :

"Poussant la porte du pied, vous calez votre béret,
vous trempez votre plume, simplement, dans l'encre,
et vous écrivez sur du papier des choses qui parlent de la rue,
des choses calmes, naïves, simples, avec des arcs-en-ciel dedans et des lueurs lointaines, vous moquant bien des cerveaux tapissés de règles de grammaire,
des prodiges de salon qui ne font jamais de gaffes.
Ainsi se passe votre vie : parler de Dieu à vos frères,
comme un vieux, avec le sourire, dit à ses petits-enfants, un soir de pluie :
"Une fois, c'était…"
Parce que je suis de ces petites gens, parce qu'un soir,
à l'Ermitage, avec votre Noël sur la place,
dans ces tableaux vivants de mystères que maman m'expliquait sur mon lit d'écolier,
vous m'avez rappelé l'éternité,
avec votre main sur l'épaule, vous m'avez dit :
"Prends le temps, regarde ", pour tout cela je viens vous remercier."


Félix Leclerc, Lettre à monsieur Ghéon…, Les Cahiers des Compagnons, vol. 1, n° 3, janv. 1945

Les Compagnons de Saint-Laurent était un groupe de jeunes comédiens semi-amateurs, réunis selon un idéal comparable à celui des Copiaus (de Jacques Copeau, en Bourgogne), ou celui des Comédiens-routiers de Léon Chancerel, dont Emile Legault, leur fondateur et animateur, était un disciple. Ce groupe est à l'origine de la naissance du théâtre québécois. Félix Leclerc en faisait partie, y jouant plutôt les utilités, chantant dans les entr'actes. Lorsqu'il écrivit cet hommage à Henri Ghéon, quoique écrivant des chansons depuis 1938, il n'était pas un chanteur professionnel - et pas du tout accepté comme tel au Canada. Mais il était déjà un écrivain très connu, vivant de sa plume. Il nous fait plaisir d'avoir trouvé Félix dans cet ouvrage et de pouvoir ainsi rappeler cela. JB


(1) Henri Ghéon, camarade de Gide, biographie d'un homme de désirs, Catherine Boschian-Campaner, Presse de la Renaissance - 2008.

(2) Lire notre livre : Félix Leclerc, le roi heureux, Arléa 1987 pour la 1ère édition, Boréal pour les éditions suivantes.

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