Jean Prévost : "Je ne vois pas d'autre chemin ouvert à notre poésie."

"Je ne vois pas d'autre chemin ouvert à notre poésie."

 

Une pépite pour Les Orpailleurs, ce magnifique texte de Jean Prévost ! Jean Prévost était un des jeunes intellectuels français les plus brillants de sa génération. Sous le titre L'Amateur de poèmes, il publia en 1940 un recueil de traductions. Dans sa préface, il écrivait les lignes qui suivent.

 

 

Il est étrange que nous manquions presque entièrement de jeunes poètes. Le besoin de poésie me semble aujourd'hui aussi fort que jamais. Toujours l'homme que traverse un sentiment vif a honte des banalités et des bégaiements qu'il improvise. Il a besoin de la poésie pour s'exprimer et pour régler son cœur. Or notre grande poésie, classique, romantique, symboliste, ne vient pas spontanément aux lèvres en de telles occasions : elle est un objet d'étude. Le public n'a pas eu tort de revenir à la chanson. Tandis que le peuple était la proie des chansons médiocres, imitées de l'opérette, un public jeune et lettré revenait à la chanson populaire.

Serait-il impossible d'avoir en France une poésie inspirée par la chanson populaire, sans en être pourtant le centon ni la parodie ? Je le suppose. L'Espagne nous a donné déjà cet exemple. Et c'est pourquoi les poésies populaires espagnoles et les poésies de Federico García Lorca tiennent la place la plus ample parmi mes traductions. En Espagne comme en France, populaire est le contraire de vulgaire ; la poésie populaire est l'amie du mystère, de l'image hasardeuse, de l'extrême brièveté. Nous n'avons pas encore eu de Lorca.

Qui pourra envoyer les jeunes poètes chanter sur les places au jour de marché les vieilles chansons françaises et leurs propres poèmes ? Jouer de très anciennes pièces sous les halles, auprès des leurs ? Qui nous donnera l'équivalent de la Baraque de Lorca ? Je ne vois pas d'autre chemin ouvert à notre poésie.

JP


Jean Prévost, engagé dans la Résistance, fut tué au Vercors en été 1944. L'Amateur de poèmes, accompagné de Derniers poèmes, fut repris par Gallimard en 1990.

 

Proposer un texte à la revue Les Orpailleurs